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 L'ours et la montagne

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Marchebruine

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MessageSujet: L'ours et la montagne   L'ours et la montagne EmptySam 12 Jan - 19:18

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I.
Le garçon et le colosse

Les jambes en feu, le garçon continuait sa course effrénée à travers les bois. Il évita de peu une branche basse, bondit par dessus la carcasse d'un arbre couché contre son voisin et se jeta derrière une énorme souche qui pourrissait un peu plus loin. Il pria une énième fois la lumière de l'éclipser aux yeux de ses poursuivants, se donnant le temps de reprendre son souffle alors qu'il entendait déjà les voix des hommes de Berulf dans son dos.
Ils le verraient. D'un bref regard, il examina les alentours en martelant nerveusement sa cuisse endolorie et se mordit la lèvre jusqu'au sang quand il compris qu'il ne pourrait pas se cacher. Ils arrivaient. Un instant de plus, et ils le prendraient...Non ! Lubus reprît sa course à toute vitesse, mobilisant ses dernières forces en dominant la douleur lancinante qui foudroyait son corps tout entier alors qu'il puisait dans des ressources au bord de l'épuisement.

Ses poumons le brûlaient, ses jambes étaient tremblantes et ne tarderaient plus à s'effondrer, mais il continuait à courir. S'il était sur le point de s'effondrer et de s'abandonner à ses poursuivants, ralentis par leurs cottes de mailles mais bien plus endurants que lui, une lueur d'espoir germa dans son esprit tandis qu'il apercevait le muret d'un village. Ils me protégeront ! Je suis sauvé ! se dit-il en redoublant d'efforts pour atteindre la palissade avant eux. D'un bond magistral, il franchit la porte couchée du village, et il ne trouva...rien.
Le patelin était en ruines, et les larmes inondèrent ses yeux quand il admit enfin qu'il était fini. Tout ça pour un cheval... Lubus courut encore quelques mètres et s'effondra sur les genoux au bord d'une fontaine primitive qui faisait office d'ornement sur la place du village fantôme. Le son mat d'une paire de bottes qui claquaient sur le reste de pavé de la petite place fit relever la tête au jeune garçon. Déjà...? Près de lui se tenait un colosse d'au moins deux mètres de haut, tout en muscles et bardé d'une collection de cicatrices qui aurait fait pâlir de jalousie le plus téméraire et ancien des mercenaires qu'il avait offensé. Il ne pipa mot et lui tendit une outre d'eau à moitié vide. Lubus ne se posa pas plus de questions, buvant tout son saoul sans même un regard pour l'inconnu, songeant qu'il s'agissait sans doute de ses dernières gorgées avant la mort.

- Tu devrais reprendre ta course, finit-il par dire en calant le manche de sa gigantesque épée contre son pectoral, toisant le groupuscule qui avançait tranquillement dans l'unique rue du village, éreintés par leur échauffourée dans les bois qui bordaient ses frontières.
- Je..Je ne peux plus faire un pas...
Le colosse souffla doucement du nez et rejeta l'énorme estramaçon sur son épaule, le maintenant en équilibre en couchant son bras massif sur la fusée longue pour six mains d'Homme. Sans un mot de plus, il s 'avança vers la petite troupe et se planta sur leur trajectoire sans ciller, plantant son oeil unique dans ceux de l'escogriffe qui semblait les diriger.


- Ecarte toi mon grand. On n'est pas là pour toi.

Le colosse prît son temps pour répondre, examinant soigneusement chacun des mercenaires avant d'en revenir à son interlocuteur.

- Non. Mais vous êtes chez moi. trancha-t'il en relevant le menton dans un geste de défi.

Déjà las d'avoir tant couru, le meneur cracha par terre et fit mine de dégainer son épée, mais l'arme disproportionnée du colosse fondit sur lui et fit exploser les os de son crâne et de son thorax dans un affreux craquement. S'il avait pu user de son épaule comme un levier pour frapper aussi vite, le borgne savait qu'il ne pourrait pas rivaliser avec la petite bande avec une telle arme et la laissa avec le cadavre cloué au sol, dégainant son glaive en se projetant sur un second gaillard encore sous le choc, lui pulvérisant le nez avec le pommeau pour se fendre de l'autre coté et traverser la gorge d'un second avec la pointe.

Il était au centre du cercle de ses ennemis déjà amputés de trois de leurs hommes, et ils étaient désormais armés et prêts à le recevoir. Si un élan de terreur froide leur glaçait l'échine, les hommes de Berulf avaient pour eux la force du nombre. Et pourtant. De loin, Lubus qui s'était affalé sur la fontaine pour suivre la scène du regard, captivé par la tournure improbable que les événements avaient pris, pouvaient lire la peur et l'hésitation dans leurs yeux et leurs corps frémissants.
Le colosse se tenait entre eux tous, immobile, son glaive tendu dans le prolongement de son bras, un poignard massif au bout de l'autre, pivotant lentement sur lui même alors qu'une tension palpable précédait le combat à venir.
Pensant profiter de l'angle mort dû à son oeil crevé, un premier mercenaire tenta sa chance en se ruant sur son flanc, envoyant le fer de sa hache papillon lui déchirer le dos. La réaction de sa cible fut immédiate. D'un coup de botte, le guerrier souffla un nuage de terre et de poussière au visage des mercenaires qui lui faisaient face. Son corps se tordit alors qu'il tendait son glaive dans la trajectoire de la hache dont le manche fut tranché net, à l'instar du haut du crâne du pauvre gaillard qu'il épingla avec la pointe de sa dague, poursuivant son tour pour se donner de l'élan et le projeter sur ceux de ses camarades qui jouissaient encore de leur vue.

Sans attendre davantage, il se propulsa en avant, écartant la frappe d'un jeunot qui se jetait à sa rencontre et fut percuté par la violence de la frappe au point de s'étaler par terre puis pivota pour broyer la trachée d'un homme encore aveuglé d'un coup de coude. Il sentit le fer d'un sabre lui mordre le flanc alors qu'il amorçait déjà son prochain assaut, et poussa un grognement bestial en déchirant la gorge de son assaillant d'un revers de dague, stoppant net la course d'un autre téméraire en lui pulvérisant les testicules du bout ferré de sa botte.
D'un bond acrobatique, il s'éloigna des quatre autres hommes qui tentaient de l'encercler, roulant sur l'épaule d'un d'entre eux pour se réceptionner dans son dos, un genou à terre, faisant remonter la lame de son glaive entre ses cuisses. Le pauvre hère poussa un couinement inhumain quand il s'effondra en avant, et, déviant la pointe d'une lance, le colosse se jeta à l'avant des trois gaillards désormais rangés sur la même ligne.
Le lancier n'eu guère le temps de ramener son arme à lui que la lame du glaive lui trancha la mâchoire en deux, sonnant dans le même mouvement contre le umbo que brandissait son voisin dans une vaine tentative de stopper la charge du géant. Les os de son bras vibrèrent si fort qu'il recula en gémissant, laissant le troisième larron à la merci d'une passe bien trop élaborée pour un ex garde-chiourme.

Il s'étrangla dans le sang qui moussait de sa gorge tranchée jusqu'aux vertèbres, et le barbu au umbo tendit désespérement les bras au dessus de sa tête casquée en espérant ce faisant freiner la lame du glaive qui lui trancha les poignets avant de s'encastrer dans son crâne.
Le jeunôt qui s'était fait évincé aux premières secondes de l'affrontement était déjà loin quand le guerrier acheva le castré prostré à ses pieds, et il se redressa après avoir rampé loin de la mêlée pour disparaître un instant après entre les arbres de la forêt.
Lubus n'en revenait pas. La scène dont il venait d'être témoin lui semblait complétement irréaliste, et il suivit le colosse du regard tandis qu'il revenait vers lui d'un pas lourd mais toujours assuré, s'installant sur le rebord de la fontaine en le toisant d'un oeil mauvais.

- Tu sais coudre ? lui demande-t'il en exposant son flanc meurtri dont s'écoulait une nappe de sang abondante.

- J...euh...oui..?

Le guerrier fourra une petite sacoche entre les mains du jeune homme, et ce dernier, transi d'admiration et d'un besoin nerveux de rendre la pareille au géant qui venait de lui sauver la mise, se hâta de passer à l'office, tentant d'une voix chevrotante de grapiller quelques informations sur son protecteur.

- Je suis Lubus, du village de Hautbuis...Ces mercenaires ont rançonné mon village il y a quelques jours, et ...J'ai essayé de leur voler un cheval pour qu'on puisse manger un peu jusqu'à la fin de l'hiver...leur chef, Berulf, est un homme cruel avec ceux qui enfreignent ses lois et lui résistent. Il va sans doute envoyer d'autres hommes après c'que vous avez fait...

Le guerrier ne répondit pas, laissant le garçon faire son office en respectant un silence religieux; les dents serrées tandis qu'il s'efforçait de soutenir les ondes de douleur qui se propageaient dans son flanc. Il attendit que la plaie soit nettoyée et recousue pour se redresser et reprendre la parole, récupérant ses affaires d'un geste sec.

- Je suis Valten. Et je suit mes propres lois.
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MessageSujet: Re: L'ours et la montagne   L'ours et la montagne EmptyMar 15 Jan - 16:57

Citation :

En un mois seulement, Lubus avait plus appris aux cotés du colosse que dans toute sa vie au village. S'il était débrouillard et curieux, nul n'avait jamais vraiment su apprécier sa témérité et son franc-parler, si bien qu'on lui avait refusé les apprentissages qu'il visait quand il avait atteint l'âge d'être considéré comme un homme. Du haut de ses quinze ans, il n'entendait rien aux choses de la vie, il n'avait jamais connu une fille, et il assistait encore  sa mère à l'atelier de couture.
Lui qui avait pourtant démontré d'une affinité naturelle avec le bois, on ne lui avait jamais permis de prêter main forte aux charpentiers, menuisiers et ébénistes de son entourage; de crainte qu'il ne commette une des bourdes dont la fréquence le suivait depuis l'âge tendre.

Pourtant il s'était assagi en grandissant, et bien qu'il n'ait plus commis de telles erreurs depuis au moins deux ans, sa réputation de trublion le suivait de près. Il n'avait pas eu le droit à une deuxième chance...Jusque là. Le vétéran n'avait, à leur rencontre, aucune idée du garnement qu'il avait été, et s'il le traitait durement, Lubus avait très vite compris que le simple fait qu'il accepte de veiller sur lui était des rares signes d'affection qu'il semblait capable de communiquer. Il parlait peu, il était souvent maussade, et passait le plus clair de son temps à s'exercer avec sa gigantesque épée; ne se livrant qu'en de rares occasions quand ils buvaient tout les deux près du feu autour d'un repas que le garçon avait préparé sous sa guidance.
De lui, il avait seulement appris qu'il avait passé l'essentiel de sa vie à guerroyer avec une section particulière de la 13eme légion dont il ne connaissait pas plus que le nom; qu'une femme l'attendait de l'autre coté de la mer, et qu'il se préparait pour une guerre à mener. Il avait aussi réussi à lui arracher l'histoire de l'épée qu'il brandissait encore avec peine malgré sa stature. Des années auparavant, le guerrier avait vécu dans ce petit village avec les gens de son clan. Lubus se souvenait vaguement d'eux puisqu'ils commerçaient avec les gens de son village, mais il n'en savait pas beaucoup plus que ce que les commères racontaient au lavoir ou sur la place du marché. "Des barbares arriérés qui baisent avec des animaux pour créer des hybrides surhumains". C'était loin de la réalité, de ce qu'il pouvait en voir; mais le raid de Vrykuls qui avait déferlé sur le village semblait authentique.

Valten lui avait conté qu'à son arrivée dans les Grisonnes, quelques semaines auparavant, il avait pris en chasse le clan d'Hölf Odynson, responsable du massacre, et qu'il avait défié ce dernier dans un duel en respectant l'antique tradition. Il n'avait pas compris pourquoi le Vrykul avait accepté ça de la part d'un humain, et les maigres explications du colosse n'avaient pas suffi à éclairer sa lanterne. Quoi qu'il en soi, il l'avait emporté au terme d'un interminable combat, et avait pris sa tête et son épée comme trophées avant de revenir s'installer ici.
Là, il avait amorcé un entrainement intensif pour apprendre à manier l'arme aux proportions inhumaines, et aujourd'hui encore, il poursuivait ses exercices sans fatiguer.

"Inhumain". C'est ce qui était venu à l'esprit du garçon quand il avait vu le colosse massacrer les hommes de Berulf près d'un mois plus tôt, mais après tant de temps passé en compagnie du guerrier, il le trouvait au contraire bien plus humain que d'autres. Il lui avait appris à construire et poser des pièges, à dépecer et préparer de lapin et le cerf, à approcher et apaiser des chevaux, à cuisiner quelques plats, à reconnaître les plantes et champignons comestibles, à entretenir armes et armure, à allumer un feu avec quelques brindilles... Et il lui avait appris à tenir une arme.
De cela, Lubus lui en était particulièrement reconnaissant; car personne dans son village n'était capable de se défendre convenablement. Il y avait bien le garde-chasse qui savait tirer à l'arc et jouer du couteau, mais il ne suffisait pas à lui seul pour les protéger des dangers de la région. Quand il reviendrait, il leur apprendrait à leur tour à se battre, et son village pourrait jouir de sa tranquillité d'antan à nouveau. Il y croyait de tout coeur.

Alors qu'il se reposait après une longue série de passes qui lui avait tant tirer sur les muscles qu'il pouvait à peine tenir debout, Lubus avait pris son courage a deux mains et avait demandé au guerrier de l'accompagner au village. De rester avec eux; de les protéger. Mais ce dernier lui avait répondu que s'il le faisait à leur place, ils n'atteindraient jamais la véritable quiétude. Le garçon insista, affirmant que les siens ne créditeraient jamais son talent, qu'ils ne l'écouteraient pas, qu'ils ne le suivraient pas et qu'ils ne croiraient pas un mot de son histoire. A cela, Valten répondit sobrement que les mots était l'arme des menteurs et des laches, et que la vérité reposait sur les actes.
Il n'en fallut pas davantage pour rétablir la motivation alors vacillante du garçon qui avait immédiatement bondi sur ses pieds pour de nouvelles passes avant de se vautrer dans la poussière avec pour seul compagnon le rire rauque de son mentor. Lubus avait ri aussi. Il aurait souhaité que ces moments de complicité martiale ne s'arrêtent jamais.


Conscient que le maître des galeux qui étaient venus souiller le sol sacré du culte ne laisserait pas le meurtre de ses hommes impunis, Valten avait profité du concours de Lubus pour préparer le village à leur assaut. Il ne savait pas quand, mais il avait la certitude absolue qu'ils finiraient par venir le chercher. Lui, et le garçon. Aussi, ils avaient pris le temps de restaurer la palissade du hameau et le guerrier s'était rendu dans un village voisin pour s'équiper en conséquence. Il était doué; il savait qu'il pourrait tenir tête à de nombreux gaillards de cet acabit sans réelle difficulté, mais il n'avait aucune idée du nombre qu'ils pouvaient être. Et il n'avait pas le droit de mourir maintenant. La situation ne le lui permettait plus.

C'est Lubus qui entendit le premier signe de leur venue. Un hurlement glaçant monta depuis la forêt alors que le duo improbable préparait le repas du midi, et ils surent tout les deux de quoi il en retournait. Les oiseaux de la lisière des bois filèrent vers les cieux, et après une tape sur l'épaule, Lubus galopa jusqu'au poste qu'on lui avait assigné; au sommet du tout petit clocher qui dominait la place du village. Il prépara l'arbalète que lui avait confié le colosse, "une arme facile à utiliser mais longue à recharger", comme il l'avait décrite, et suivit la préparation de son mentor depuis le fenestron duquel il avait vue sur les ruines.

Valten finit de sangler son armure, laissant son estramaçon colossal dans son dos pour trottiner jusqu'à un poste de vigie qu'il avait restauré à la va-vite près de l'entrée des barricades. De là, il pouvait voir les arbres remuer, il pouvait entendre le bruit des bottes et le grincement du piège qu'on désarmait après qu'un des assaillants présumés se soit pris le pied dedans. Bien que loin d'être un partisan du combat à distance, le colosse avait appris en chassant des créatures volantes à tirer plus que convenablement, et il n'attendit pas davantage pour réduire le nombre de ses assaillants. Une première flèche se ficha en plein dans la poitrine d'un des mercenaires qui avançait au pas, une deuxième se logea dans l'oeil de son voisin, et le reste de la troupe se mit en branle, se ruant vers la palissade en poussant un concert de grondements enragés. Rien ne semblait attester de la présence de leur chef jusque là, et Valten bondit au sol pour amorcer la seconde partie de son plan.

Quand les assaillants firent tomber la porte de la barricade et se précipitèrent vers l'intérieur, le sol se déroba sous leurs pieds, entrainant quatre d'entre eux dans un gouffre hérissé de pieux. Les autres enragèrent de plus belle, et comme ils ne voyaient plus personne, mirent un frein à leur progression pour ne pas tomber dans un autre piège stupide.

- Allez...Sors de ta cachette grand connard, on fera ça vite et propre ! Et on t'épargneras de voir crever le gamin ! scanda l'un des sergents qui menaient l'assaut. Il n'eut aucune réponse, et lui et ses hommes commencèrent à s'avancer le long de l'unique véritable rue du village; celle la même qui conduisait sur la place. Ils étaient prudents, désormais, mais pas moins confiants. Deux petits groupes se détachèrent de la colonne centrale et se répartirent dans les ruelles de boue séparant les chaumières effondrées sur les cotés de ce qui faisait office d'avenue, enfonçant les portes en espérant retrouver leur victime en devenir.
Le guerrier, lui, guettait en silence; froid comme la mort qu'il s'apprêtait à dispenser abondamment. Il donna un coup de talon dans une pièce de bois branlante, et les poutres sciées et fragilisées à l'avance qu'elle soutenait s'effondrèrent sur un groupe de trois mercenaires. Six autres se jetèrent à sa poursuite tandis qu'il se ruait vers son point de passage suivant, et il trancha une corde tendue sur son passage, actionnant un savant système de poulies qui fit violemment pivoter une grille massive et hérissée de pointes dont le métal solide s'écrasa contre ses poursuivants, mutilant quatre d'entre eux en tuant les deux autres sur le coup.

Les larrons de l'avenue principale s'étaient mis en branle et commençaient à l'encercler; et à une fraction de seconde près, son plan aurait été ruiné par un mauvais timing. Devant lui se tenaient deux gaillards un peu plus rapides que leurs pairs, s'efforçant de lui bloquer le passage vers la place, piques tendues en avant. Une lame de lancer fit son sort au premier dont le corps s'effondra sur lui même; un couteau dans l'oeil, et le second tenta d'harponner son assaillant. Le gantelet du guerrier repoussa le fer de sa lance et un uppercut d'une puissance monstrueuse lui fractura le nez dont les éclats d'arête remontèrent jusque dans sa cervelle.

Sans freiner sa course, Valten se campa près du feu au centre de la place; tirant son glaive de son fourreau en avalant un élixir en vitesse. Les mercenaires affluèrent sur la petite place; au moins une bonne dizaine d'entre eux, avant qu'il ne couche sa dernière carte. D'un geste ample, le guerrier projeta une torche sur la ligne de poudre et de poix dont il avait maculé le sol sur un cercle qui séparait la placette des autres rues du village, en condamnant l'accès en enfermant avec lui un nombre d'adversaires déjà déraisonnable.

- Tu pouvais pas te laisser crever sans nous faire chier hein ? cracha le même sergent en tendant sa bâtarde vers le colosse dont les traits commençaient à se déformer sous le coup des élixirs qui accroissaient ses aptitudes. Fumez moi cette raclure !
Un carreau d'arbalête se ficha dans la gorge du sergent qui eut du mal à réaliser sa propre mort, stupéfait; incapable de définir d'où elle avait bien pu venir. Quand il tomba à la renverse, ses yeux remontèrent naturellement et croisèrent ceux du jeune Lubus dont le sourire mesquin fut le dernier souvenir qu'il emporta avec lui.
Avec ou sans lui, ses hommes chargèrent; et une féroce bataille s'engagea sur la place cernée de flammes. Le glaive scintillant du guerrier filait, volait et se fichait là où son bras le conduisait; son corps tout entier exécutait une danse sans le moindre défaut. Il ne se défendait pas; confrontant ses adversaires à la peur de la mort sans le moindre souci apparent pour sa survie, jouant de l'épée, des coudes, des genoux, qui exécutant une passe savante pour détourner la lame d'un homme et l'amener à tuer son confrère, qui bourrant un autre d'un coup d'épaule pour l'expulser contre ses pairs. S'il ne pouvait parer, dévier ou esquiver tout les assauts, il ne laissait passer que ceux qui ne pouvaient que ricocher sur son armure massive; et Lubus s'essayait à abattre ceux parmi ses agresseurs qu'il estimait capables de percer sa défense de maître.

Le nombre de ses adversaires réduisait proportionnellement au nombre de blessures qu'il endurait à mesure que le combat s'éternisait. Malgré une maîtrise hors du commun, le guerrier n'était pas immortel; et les flammes du cercle qui le protégeaient de la majorité des mercenaires commençaient à s'éteindre. Ses pensées commençaient à s'embrumer. L'écume lui montait aux lèvres, la vue du sang à lui donner des appétits farouches, et il suffit d'un signal pour que la bête prenne le dessus. Du haut du clocher, il entendit un hurlement de douleur; et il comprit.


Son esprit se ferma aussitôt, et il ne ressentit plus rien; rien d'autre qu'un besoin insatiable de sang et de mort. Ceux qui l'entouraient n'étaient plus des hommes mais de la chair, il n'en était plus un non plus. Il était une machine de mort, un prédateur assoiffé impatient de se repaître. Un grondement inhumain monta de sa gorge alors qu'il perdait définitivement pied, arrachant l'imposante masse d'acier dans son dos pour la faire basculer sur son épaule et dévier sa course sur le coté, séparant en deux le corps des trois gaillards qui pensaient voir en la brève interruption dans son manège mortel une opportunité de l'abattre. La violence insoutenable de la scène figea subitement ses assaillants qui se multipliaient pourtant du fait des flammes qui redescendaient mollement, et l'épée découpa une nouvelle ligne d'hommes terrorisés, tranchant, broyant, déchiquetant les os et la chair avec une aisance déconcertante.

Lubus, qui repoussa, haletant, le mercenaire qu'il venait de tuer, n'osa même pas armer un nouveau carreau quand il jeta un oeil en contrebas. Valten était comme un animal déchaîné, et l'arme gigantesque qu'il semblait peiner à soulever à leur première rencontre avait l'air à l'instant aussi légère qu'une rapière entre ses mains.
S'il le savait d'une force incomparable avec tout ce qu'il avait vu jusque là, ce qu'il voyait là dépassait l'entendement; et un frisson d'effroi lui glaça l'échine tandis qu'il contemplait la créature qui avait pris l'apparence de son mentor en train de réduire en tas de chairs informes les mercenaires dont le nombre diminuait à vue d'oeil. Si son style de combat reposait essentiellement sur l'attaque et qu'il comptait sur la peur qu'il infligeait à ses adversaires ce faisant habituellement, Lubus reconnut en ses gestes une sauvagerie démoniaque qui le clouait au sol.

Il était totalement incapable de bouger, simple spectateur d'un combat dans lequel il n'était pas sûr du parti qu'il devait encourager. Ce n'était plus Valten. C'était un monstre dont la fureur digne des légendes s'abattait sur de pauvres hommes payés pour exécuter la volonté d'un autre. Tétanisé, transi d'effroi, Lubus finit par fermer les yeux, se roulant en boule dans un coin de son perchoir en tentant de fermer ses sens à l'horreur qui se déroulait en bas; aux craquements, bris d'os, froissement de chair et aux hurlements de douleur qu'il entendait malgré lui, larmoyant dans son coin tandis que le démon qu'il avait tenu pour ami dégorgeait sa cruauté barbare sur les mercenaires de Berulf.


Ce n'est qu'à la nuit tombante que le jeune homme parvint à sortir de sa torpeur. D'abord, il crut avoir vécu un rêve terrible; mais quand il se pencha au fenestron du clocher, ses entrailles se nouèrent devant le spectacle macabre qui s'étalait sous ses yeux. Des dizaines de cadavres en charpie étaient disséminés sur la place dans un charnier informe de restes et de corps mutilés, baignant dans leur sang qui tapissait les dalles abimés du village. Valten avait disparu, et Lubus sentit son coeur se serrer malgré l'horreur de la scène quand il redescendit sur la place et fut contraint d'admettre qu'il était seul à nouveau.
Berulf était cloué au volet brisé d'une fenêtre, empalé sur la lame d'un estramaçon enfoncé dans son poitrail jusqu'à la garde et dont la pointe s'était brisée sur la pierre derrière lui.

Son village ne serait plus assujetti aux caprices du chef mercenaire, mais le garçon ne se sentait pas vraiment soulagé. Il lui fallut quelques heures à errer entre les cadavres pour se reprendre. Il comprenait, désormais. Les silences du guerrier lui apparurent subitement comme criants d'éloquence, et c'est avec une froideur mature qu'il accueillit le carnage qui venait d'avoir lieu. Ces bandits ne seraient plus jamais une menace. Leurs armes et armures lui permettraient d'offrir à son village les moyens de se défendre. L'apprentissage que lui avait fourni le colosse de les former à quelques bases essentielles. Et ce charnier infect serait, avec ce qu'il pourrait leur montrer de ses talents acquis au cours du dernier mois, la preuve irréfutable du récit qu'il ferait de sa rencontre.

Empoignant la lame d'une épée qui gisait dans une mare de sang, Lubus tituba jusqu'aux portes du village et s'enfonça dans la forêt, prêt à rejoindre les siens. Une semaine plus tard, les villageois furent contraints d'admettre que l'adolescent disait la vérité; ou que son récit devait au moins s'en approcher. Ils commencèrent à former une milice et s'armèrent contre les menaces qui guettaient tout autour d'eux, prêts à recevoir ceux qui viendraient troubler la quiétude de leurs vies. Il leur faudrait encore du temps, mais Lubus avait la certitude qu'ils finiraient par apprendre. Comme il avait été nommé pour seconder le garde-chasse à la tête de la milice, il jouissait désormais d'un degré de reconnaissance qu'il n'aurait su acquérir par lui même avant sa rencontre avec le guerrier.

Ce dernier traversa le village quelques temps après, et les villageois l'accueillirent avec une méfiance certaine. Son armure était couverte de sang, et si ses blessures avaient été savamment bandées, une odeur de sang et de mort allait dans son sillage. Il ne s'arrêta pas, ou qu'un instant, se tournant vers Lubus qui s'inclina avec respect en faisant tinter les anneaux de sa cotte de mailles. Le colosse lui donna une tape sur l'épaule et se retourna, quittant le village et les Grisonnes pour de bon, prêt à retrouver les siens.

L'ours et la montagne 49938725_799869017040553_4008605106067996672_n.jpg?_nc_cat=111&_nc_ht=scontent-cdg2-1
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