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| La voie sans retour | |
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Marchebruine
Messages : 100 Date d'inscription : 18/04/2018
| Sujet: La voie sans retour Ven 27 Avr - 16:58 | |
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Chapitre I : Du sang dans la bouche "Lève toi."
La voix du maître d'armes parvenait à peine aux oreilles de la fillette. Son crâne lui faisait un mal de chien, et tout le reste de son corps accompagnait le mouvement. Elle n'était plus que douleur, et du sang lui envahissait la bouche dès qu'elle la refermait, la forçant à cracher sur le sable de la petite cour du manoir. Elle voulut se redresser quand elle l'entendit marcher vers elle; elle savait pertinemment ce qui l'attendait si elle ne se tenait pas debout avant qu'il ne l'atteigne. Mais ses membres étaient aussi lourds que du plomb, et elle parvint à peine à se tenir sur les genoux avant de retomber la tête dans le sable dans un gémissement plaintif. Ses cheveux étaient collés à ses tempes par le sang qui moussait de ses arcades fendues et de son nez cassé, et elle sentait la sueur poisseuse lui ruisseler jusqu'au bas du dos, trempant sa tunique trop serrée.
La jeune fille étouffait et respirait du sable sans parvenir à relever la tête pour autant, ses poumons s'asphyxiaient et elle ne pouvait rien faire. Je vais mourir... Le bruit des bottes du maître d'armes sonnaient comme une condamnation à mort, et un vent de panique lui tordit les entrailles quand elle sentit sa main rude empoigner ses cheveux courts. Elle gémit tandis qu'il la trainait le long de la cour, et elle retint son souffle un instant avant qu'il ne lui plonge la tête dans le bassin installé à son extrémité. Son temps au manoir lui avait fait développer ce genre de réflexes, mais dès lors qu'elle dépassait sa limite, son Maître se hâtait de rendre son entraînement plus difficile encore.
La surface de l'eau lui fouetta le visage et un nouveau pic de douleur raviva toute ses blessures. Elle n'osait même plus se débattre et subissait son châtiment sans rechigner, aspirant autant d'air que possible dès lors qu'il arrachait sa tête de l'eau, l'y replongeant presque aussitôt. Le maître d'armes connaissait bien ses limites, et il l'amenait proche de la mort à chaque fois qu'elle plongeait. Une fois. Deux fois. Six fois. C'était suffisant pour remettre la fillette sur pieds cette fois-ci.
Les yeux exorbités, Eugénie tenait à peine sur ses jambes et manqua de chuter de peu quand son professeur lui donna une tape au dessus de la poitrine pour la repousser vers le centre de la cour. Encore vingt minutes. Un filet de bave écarlate coulait d'entre les lèvres tuméfiées de l'enfant qui releva ses poings fébriles devant son visage, reniflant avant de cracher une giclée de sang sur le coté. Il lui fallait tenir. Le Maître la regardait, et faiblir n'était pas une option valable. Vingt minutes, ce n'est rien...
Elle renifla une dernière fois et se rua vers le maître d'armes en poussant un hurlement enragé, tendant le poing pour lui porter un direct brutal qu'il para avec l'aisance d'un pratiquant accompli. Sans transition, la disciple lui en décocha un second qu'il encaissa dans la paume de sa main, puis fit un tour sur elle même en balayant le sol, soulevant un nuage de poussière sablonneuse sans même effleurer les jambes du professeur. Frappe, tour, propulsion... Elle mis fin à son tour et profita de son élan pour basculer en avant, s'enroulant sur elle même en plaquant les mains au sol pour se projeter vers lui, un pied en avant, cherchant son plexus du talon. Trop lente... Le maître d'armes se déporta sur le coté et la saisit par la cheville, lui envoyant son propre pied dans le menton avant d'abattre son coude sur son genou. Une paire de craquements sinistre marqua la fin du combat, et un voile rouge passa sur les yeux clairs de la fillette qui s'effondra comme une poupée de chiffons. Du sang revint lui noyer la bouche, et elle n'entendit de nouveau plus rien d'autre que les tambours qui résonnaient entre ses deux oreilles. Même le tapis de sable sous son dos tuméfié lui était insoutenable tant elle souffrait du combat qu'elle avait mené, et elle sentit à peine les mains qui lui saisirent les épaules pour la trainer jusqu'à l'estrade en bois qui bordait la petite arène.
Je veux mourir. Personne ne viendrait s'occuper d'elle jusqu'à ce qu'elle ne soit en mesure d'aller chercher de l'aide par ses propres moyens et elle en avait parfaitement conscience. C'était pour cette raison que le maître d'armes s'arrangeait toujours pour achever le combat sur un coup brutal qui l'empêchait de marcher pendant quelques heures. La fillette entendit les pas de sa consoeur frapper les planches, puis ses pieds se planter dans le sable, pas à pas, alors qu'elle avançait au centre de l'arène pour subir son entraînement à son tour.
Puis il y eu d'autres pas; un claquement régulier qu'elle reconnaissait entre milles. Le métal qui enveloppait les talons du Maître émettait un bruit particulier, quelle que soit la surface sur laquelle il marchait, et elle avait appris par coeur le rythme, et il était le seul dont elle était incapable de déterminer les émotions en se fiant à la lourdeur de son pas. Pitié...ne m'en voulez pas...Elle pensait au ralenti, et elle était absolument incapable d'articuler le moindre mot. Quand elle s'y essaya, du sang vient mousser entre ses lèvres et elle toussa pour libérer ses poumons à moitié noyés, soufflant un geyser écarlate sur le coté. Il se tenait à coté d'elle; elle admira les reliefs de ses bottes massives,
Bientôt, elle sentit sa chaleur quand il se pencha vers elle et étreignit sa nuque fébrile entre ses doigts d'une rare douceur, puis ses lèvres meurtries se réchauffèrent quand il posa les siennes dessus. Une vague de soulagement lui transperça le corps et elle referma les yeux, sereine, rassurée par l'affection qu'il lui portait malgré son échec. Il m'aime toujours. Je dois vivre...Je dois vivre... Il ne lui fallut pas longtemps avant de sombrer dans les bras de Morphée. | |
| | | Marchebruine
Messages : 100 Date d'inscription : 18/04/2018
| Sujet: Re: La voie sans retour Ven 27 Avr - 16:58 | |
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Chapitre II : Cauchemars
La jeune fille rouvrit les yeux, et elle sut immédiatement qu'elle n'était pas réveillée. Autour d'elle, les murs de sa chambre lui semblaient faits d'un mélange de cadavres empilés et fondus les uns dans les autres; leurs visages exprimaient une profonde douleur, et parfois leurs yeux s'ouvraient et elle pouvait y lire les tourments qu'ils avaient du subir.
Elle était déjà venue dans ce monde; elle s'y retrouvait toute les nuits, et elle savait parfaitement ce qui l'attendait. Ses mains se mirent à trembler, et ses yeux cherchèrent désespèrement un refuge. Mais ses précédentes expériences lui avaient fait comprendre qu'il n'en existait aucun.
Pourtant elle chercha. Animée par un vent de panique, Eugénie se jeta aux pieds de son lit qui s'était changé en un autel de chair rougeoyante qui pulsait à un rythme régulier, et ses genoux s'enfoncèrent dans le sol dans un bruit de succion abominable. Elle connaissait ce spectacle, elle le vivait chaque nuit, mais elle ne pouvait pas lutter; il n'y avait jamais rien à faire d'autre que subir.
Dès que ses mains se posèrent sur le sol; un tapis d'organes sanguinolents qui remuait doucement comme pris par une brise légère, elle sentit des langues gluantes et visqueuses s'enrouler autour de ses doigts, puis de ses chevilles. Son coeur s'emballa aussitôt et elle poussa un hurlement strident en arrachant ses membres à la prise du sol, allant de chute en chute tandis qu'elle trébuchait dans les entraves qui se formaient sous ses pieds à chaque pas et gagnaient en force à mesure qu'elle luttait pour fuir.
Fuir. Où pouvait-elle bien fuir ? La pièce n'avait pas de porte, pas de fenêtres, pas la moindre ouverture. Elle courrait dans la mesure du possible, mais il n'y avait aucune issue, et elle ne pouvait rien faire de plus que de tourner en rond autour de l'autel qui avait remplacé son lit. Puis elle entendit sonner les cloches de Lordaeron, le glas qui sonnait le début de son véritable tourment.
Eugénie se mit à pleurer et à hurler et s'éloigna des murs où elle savait que son châtiment l'attendait. Les bouches des morts qui le composaient se mirent à remuer lentement, et elle n'entendit plus sa voix; son cri. Elle n'entendait plus rien d'autre que les bruits de leurs bouches qui s'ouvraient et se refermaient. Leurs yeux, tous, s'ouvrirent d'un seul coup et se fixèrent sur leur proie. Ils salivaient.
Et c'était la seule chose qu'elle entendait encore. Les corps se mirent à s'agiter à leur tour, puis les murs parurent avancer vers elle, se repliant sur sa position alors que les corps qui le composaient rampaient les uns sur les autres en luttant contre les difformités et les excroissances qui les réunissaient tous ensemble dans un concert de chuintements de chair.
Eugénie hurla encore, et encore, et encore, mais sa voix n'émettait plus le moindre son. Elle se réfugia sur l'autel comme elle le faisait à chaque fois, tout en ayant conscience que cela ne changerait rien à ce qui l'attendait, et se mit à pleurer en cherchant une porte de sortie quelque part autour d'elle. Il n'y en avait pas. Il n'y en aurait jamais.
Des tremblements spasmodiques agitèrent son corps nu tandis qu'elle renonçait à se battre et se recroquevillait sur elle même, enfouissant son visage trempé de larmes entre ses genoux et couvrant son crâne de ses bras repliés. Bientôt elle put sentir leurs langues poisseuses courir le long de son corps et elle resta prostrée et tétanisée, la bave se mêlant à la sueur dans laquelle elle baignait. Puis une première morsure entama la chair de sa cuisse, légère, ne lui infligeant que quelques picotements; et une deuxième. Et une autre.
Et cela ne s'arrêta pas. Leurs dents plates et usées creusaient sa chair avec une horrible lenteur, lui arrachant des hurlements perçants qu'elle n'entendait toujours pas, forcée de les écouter tandis qu'ils la dévoraient. La souffrance qu'elle ressentait était indescriptible, il n'y avait aucun mot qu'elle eut pu poser dessus, et rien n'allégeait son tourment. Rien. Cela durerait des heures avant qu'ils n'aient terminés, des heures entières; car quelque chose dans ce monde empêchait son coeur de s'arrêter, et son cerveau de percevoir la douleur.
Pendant un bref instant alors qu'ils terminaient leurs repas; aspirant ses yeux comme ils le faisaient toujours, elle eut un moment de paix où elle ne ressentait plus rien. Puis elle rouvrit les yeux, et elle sut immédiatement qu'elle n'était pas réveillée. Autour d'elle, les murs de sa chambre lui semblaient faits d'un mélange de cadavres empilés et fondus les uns dans les autres; leurs visages exprimaient une profonde douleur, et parfois leurs yeux s'ouvraient et elle pouvait y lire les tourments qu'ils avaient du subir... | |
| | | Marchebruine
Messages : 100 Date d'inscription : 18/04/2018
| Sujet: Re: La voie sans retour Ven 27 Avr - 16:59 | |
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Chapitre III : Privilèges
Quand elle rouvrit finalement les yeux pour de bon, toute douleur avait disparue. Celles qu'elle avait ressenti pendant la nuit étaient mortes avec son rêve, et celles engendrées par son combat avaient été dissipées par la magie du maître. Elle était nue et allongée dans son lit sous un fin drap de velours violet, et comme à chaque réveil, elle eut pour réflexe d'observer l'environnement qui l'entourait, persuadée que ses cauchemars pouvaient prendre toute les formes.
Mais il n'y avait aucune trace, aucun reste, et ses yeux s'arrêtèrent sur la silhouette plantée dans l'encadrement de sa porte, toujours ouverte. Elle afficha un léger sourire en inclinant la tête vers son aînée qui s'avança vers elle en le lui rendant avec la sympathie qui habitait toujours ses traits juvéniles.
Eurydice était de deux ans son aînée, et du haut de ses dix-sept ans, elle ne paraissait pas plus mature. Si elle présentait une stature athlétique et des formes généreuses, la nature lui avait donnée une petite taille que le temps ne semblait pas arranger, et bien qu'elle eut été destinée à devenir une femme d'une grande beauté, le charme de son visage était étouffé par les mutilations atroces qui étendaient son sourire d'un coté de ses lèvres jusqu'à son oreille. Cette cicatrice était rejointe en son milieu par une autre qui fendait son nez en deux et se divisait sur sa joue; une branche partant vers son oeil alors que l'autre tombait sur sa mâchoire. Un "L" lui avait été imprimé au fer rouge sur le front, et achevait de ruiner les traits agréables et lisses de sa face juvénile.
Eugénie savait que son aînée avait appartenu à un esclavagiste Gobelin avant de fuir et d'être recueillie par son maître, et en cela, elle entretenait pour sa condition une certaine jalousie. Elle même n'avait pas été accueillie à bras ouverts, et il lui avait fallu attendre dix jours devant les portes du val Fleuri, avant qu'on ne lui accorde la moindre considération. Mais elle l'aimait comme une soeur, pour la sympathie dont elle faisait preuve à son égard après chacune des humiliations que lui infligeait leur maître d'armes, et parcequ'elle s'était toujours comportée avec elle en faisant preuve d'une bonté sans bornes.
- Tu as bien dormi ? ironisa-t'elle en s'installant près d'elle. Le maître fait toujours des miracles avec toi.
Eugénie resta silencieuse un moment. La naissance d'un hématome marquait le cou de son aînée, et elle se demanda, encore une fois, pourquoi la guérison de l'ombre avait autant d'impact sur elle. Le Maître lui avait assuré qu'elle était destinée à un grand avenir, et que ses prédispositions lui donnaient des cartes qu'Eurydice n'aurait jamais, mais tout dans son attitude et dans les traitements respectifs qu'elles recevaient, aussi bien de sa part que par leurs précepteurs, allaient en faveurs de l'aînée.
- Tu t'en es bien sortie ?
L'aînée cligna des yeux et avisa la rouquine en levant un sourcil; elle s'était sans doute attendu à ce qu'elle lui fasse la conversation un moment avant qu'elles n'abordent le sujet généralement douloureux de leurs entraînements respectifs, mais Eugénie ne leur accorda aucun répit.
- Oui...assez bien, répondit-elle après avoir laissé plané un silence génant. Olgun m'a assuré que j'avais fait des progrès depuis notre dernière séance, et que le Maître était fier de moi.
La rousse fronça légèrement les sourcils, frappée par un élan de jalousie déplacé, et détourna le regard pour fixer la porte de sa chambre. Elle aurait préféré que ce soit lui qui vienne l'accueillir à son réveil, mais ça aussi, c'était un des privilèges qu'il accordait à son aînée. Et pas à elle.
- Il m'a dit que tu en avais fait aussi, mentit finalement Eurydice en accordant à sa voisine un sourire faux. Elle ne prenait que rarement conscience de la manière dont ses propos heurtaient sa cadette; sa naiveté la rendait aveugle à de telles considérations, si bien qu'elle ne réalisait même pas comme elle pouvait l'envier. Pour elle, tout cela était parfaitement naturel, et elle faisait autant d'efforts que possible pour soulager le fardeau de l'autre jeune fille.
Mais Eugénie n'était pas dupe. Son ainée ne savait pas mentir et elle avait toujours été particulièrement douée pour lire à travers les lignes et saisir le fond de la pensée des autres; une vertu qui lui venait de son affinité, d'après le Maître, et qu'elle cultivait avec une assiduité que l'on retrouvait dans toute ses tâches. Mais qui ne suffisait jamais à satisfaire qui que ce soit. Pas même elle.
- J'aimerais me reposer encore un peu, fit-elle en relevant les yeux vers Eurydice. Sa voix avait été tranchante et sèche, bien davantage qu'elle ne l'avait voulu, et elle pressa une main rassurante sur celle de son unique amie qui la coupa avant qu'elle ne s'excuse. - A vrai dire...le maître voulait nous voir. Toute les deux.
La main d'Eugénie se crispa sur celle de sa consoeur, et elle n'attendit pas davantage pour se relever. Un léger picotement se mit à lui marteler la poitrine tandis qu'elles prenaient la direction de son appartement. Voir le Maître était un privilège rare, qu'on lui accordait rarement malgré sa dévotion aveugle envers lui et ses préceptes, et elle ne s'en était jamais plaint.
Elle l'aimait profondément, car il était le phare qui éclairait sa vie, et l'unique repère qu'elle avait. Elle avait absolument tout sacrifié pour bénéficier de son enseignement de sa proximité, d'abord par nécessité; car rien n'apaisait ses cauchemars et que les dimensions qu'ils prenaient rendaient ses journées aussi impossibles que ses nuits; puis parcequ'elle avait la certitude qu'il ne lui mentait pas. Une grande destinée l'attendait au bout du chemin, et tout ces sacrifices lui semblaient justifiés.
Son coeur s'emballa alors qu'Eurydice poussait la porte du bureau où elles entrèrent toute les deux pour tomber à genoux devant leur Maître qui se tenait debout derrière son bureau et leur adressa un sourire radieux qui le fit sauter dans sa poitrine. Eugénie s'empourpra légèrement quand il contourna le meuble en bois sombre pour se planter devant elle, mais une rage indicible vint remplacer ce plaisant sentiment. Il venait de glisser ses doigts fins, si fins qu'ils semblaient n'avoir jamais manié le moindre outil, sous le menton de son aînée, et l'avait invitée à se relever avant d'en faire de même avec elle, mais sans un geste.
Il mit un moment avant de prendre la parole, et la rousse en profita pour le dévorer du regard. Malgré sa sagesse et les savoirs infinis auxquels il semblait avoir accès, le Maître était un jeune homme d'une vingtaine d'années qui pouvait se vanter d'un physique avantageux. Son corps était svelte et mince, et sa peau semblait exempte de tout défauts. Quant à son visage, il semblait avoir été forgé par les dieux et laissait planer le doute sur son sexe tant ses traits étaient lisses et fins. Contrastant avec la pâleur rare de sa peau, ses yeux étaient comme deux billes de ténèbres, d'un noir profond et pénétrant, et l'on pouvait y deviner son intelligence sans que cela ne laisse présager de la manière dont il en faisait usage. Ses cheveux étaient d'un noir encore plus intense et tombaient jusqu'au milieu de son dos en une cascade de ténèbres impénétrables, laissant son front dégagé en encadrant son visage où planait toujours un délicieux sourire.
- Pendant un mois, j'ai demandé à vos précepteurs de vous soumettre à des épreuves. Similaires, pour l'une comme pour l'autre, et j'attends de vous que vous donniez ce que vous avez de meilleur. Je récompenserais celle qui remportera les meilleurs résultats personnellement. Vos épreuves commenceront dès aujourd'hui. Je vous souhaite bonne chance à toute les deux, et je vous fait la promesse que l'issue de ces épreuves changera votre vie ici jusqu'à ce que vous quittiez le manoir.
Eugénie ouvrit les yeux en grand. Là où Euridyce ne semblait pas avoir beaucoup à y gagner en vertu de ses privilèges actuels, il s'agissait pour elle d'une occasion rêvée de détrôner son aînée. Elle eut du mal à détacher son regard du Maître; il la captivait en tout points, mais lança à sa rivale un regard plein d'un enthousiasme presque malsain.
Malgré la sympathie qu'elle avait pour elle, la rousse savait que l'ainée ne lui ferait pas la moindre concession s'il s'agissait d'obtenir davantage de faveurs de la part du Maître; car si elles étaient différentes en tout points, l'amour inconsidéré qu'elles avaient pour lui était de la même hauteur. Dès qu'il leur tourna le dos; c'était là sa manière de les congédier, elles quittèrent la pièce et furent reçues par leur préceptrice principale; Phillis, la responsable des services de protection du domaine, qui marchait toujours dans l'ombre du Maître.
Les deux jeunes filles échangèrent un dernier regard puis emboitèrent le pas à leur préceptrice silencieuse, prêtes à affronter les épreuves qui les attendaient. | |
| | | Marchebruine
Messages : 100 Date d'inscription : 18/04/2018
| Sujet: Re: La voie sans retour Ven 27 Avr - 16:59 | |
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Chapitre IV : La voie
Les épreuves commencèrent aussitôt qu'elles eurent passées la porte du manoir, et Eugénie considéra longuement sa rivale. Bien qu'elle eut d'abord été particulièrement enthousiaste, elle réalisait maintenant l'écart qui la séparait d'Eurydice, qui avait rejoint le service du Maître quatre ans avant elle, et qui lui était supérieure en tout les domaines et ce malgré son acharnement presque inhumain. Et il ne lui fallut pas longtemps pour confirmer ses craintes.
A la course, à la nage, à l'escalade, à l'équitation, au lancer de couteaux ainsi qu'à la majorité des épreuves à l'exception de celles, plus rares, qui impliquaient la réflexion, l'analyse ou la dissimulation; Eurydice la surclassa avec une aisance qui ne cessa pas d'accroître son désir de vaincre. Mais la victoire s'éloignait d'elle à grands pas, et quand vint l'heure de l'ultime confrontation, elle sentit monter en elle un vent de défaite qui lui pesa lourdement sur les épaules. Ces épreuves n'étaient-elles qu'une humiliation de plus...?
Les larmes lui montèrent aux yeux alors qu'elle passait les bandes de tissu qu'on leur imposait pour le combat, et ses dents se serrèrent jusqu'à lui faire mal. Je vais encore perdre. Je perds toujours...Pourquoi est-elle si douée...? Pourquoi a-t'elle toujours droit à tout ce que l'on me refuse ? De violents maux de tête succédèrent à ses réflexions, et elle plongea son visage entre ses mains en espérant les étouffer contre ses paumes. Mais rien n'y faisait, et une rage indicible lui monta au ventre. Une rage froide et résolue. Si elle devait perdre, elle perdrait; mais elle n'abandonnerait pas.
Doucement, Eugénie se redressa et bondit de l'estrade sur laquelle elle se trouvait, ne laissant même pas à ses pieds le temps de s'enfoncer dans le sable du terrain avant de s'avancer vers son milieu. S'il y avait eu une épreuve de ponctualité, elle aurait au moins eu la certitude de vaincre, mais tout dans cette confrontation semblait avoir été fait pour qu'elle perde, et aucun des domaines dans lesquels elle excellait n'avait été mis en avant.
Eurydice la rejoignit finalement après cinq bonnes minutes qu'elle vécut comme une éternité. Un soleil de plomb pesait sur l'arène et elle trépignait d'impatience. Qu'elle gagne ou qu'elle perde, elle confrontait Eurydice pour la première fois, et un mélange de panique et d'excitation bloquait tout ce qu'elle à dire dans sa gorge. Olgun, le maître d'armes, se posta entre elles et ne fit pas plus de cérémonies; levant le bras en reculant de quelques pas pour signifier que le combat commençait. Et il commença en un éclair.
La rousse se jeta presque à la gorge de son opposante en poussant un grondement farouche, et elles firent toute deux un étalage remarquable de leurs talents respectifs. Bien qu'elles ne se soient jamais battues, Eugénie parvenait à anticiper les mouvements de son adversaire qui se déplaçait d'une manière qui lui sembla particulièrement prévisible. Les prises s'enchainèrent; et la majorité d'entre elles furent bloquées, car l'une comme l'autre les avaient apprises par coeur, ainsi que la manière de s'en défendre, mais certaines allaient jusqu'au bout. La cadette ne comprenait pas. Elle arrivait à anticiper, mais pas à répondre; et bien qu'elle eut un léger ascendant au début du combat, elle le perdait à mesure qu'il s'allongeait.
Sa pommette éclata sous les phalanges d'Eurydice, et elle manqua de sombrer, se vautrant dans le sable en poussant un hoquet de surprise. Elle se redressa avec peine pour reprendre le combat, mais sa rage était accrue par la douleur, et elle perdait progressivement en efficacité. Quand elle voulut lancer sa jambe pour balayage à la tête, Eurydice fila dessous et enfonça sa main entre ses côtes. Quand elle pivota pour lui asséner un crochet dans la tempe, Eurydice fit dévier son poing et la fit basculer en avant en alimentant le déséquilibre qu'elle avait elle même occasionné. Idiote !
Son visage s'enfonça dans le sable, et son poignet irradiait de douleur. Quand elle se redressa encore une fois pour confronter son aînée, elle fut renvoyée dans la poussière par un coup de talon qui lui sembla surpuissant. Ses poumons se vidèrent de tout leur air et elle s'écrasa sur le dos en écarquillant les yeux. Pourquoi est-ce si facile...? Je ne l'ai même pas blessée...Elle n'est même pas chancelante, même pas essoufflée...
Eugénie était incapable de raisonner correctement, et elle dut se contenter de faire ce qu'elle faisait toujours quand son maître d'armes la jetait au sol. Elle se redressa et elle lutta. Encore. Et encore. Son adversaire l'épargnait par compassion, mais elle le sentit et s'en trouva plus désespérée encore. Elle ne me prend même pas au sérieux ! Elle n'en a même pas besoin !
Elle voulut se relever une fois encore, mais elle se sentit presque aussitôt plonger dans l'inconscience alors que la main d'Eurydice s'écrasait sur sa nuque. Pourquoi m'est-elle si supérieure...Si tôt qu'elle eut les yeux fermés qu'elle les rouvrit sur son cauchemar, et elle se mit à pleurer avant même que les cloches ne sonnent, se laissant choir sur l'autel en attendant son sort.
Quand elle se réveilla et qu'elle voulut se redresser, son bras céda sous son poids et elle constata qu'elle n'avait même pas eu droit à la guérison de l'ombre, et elle fondit en larmes, indignée. Etait-ce cela le destin qu'on lui avait promis ? Des années de tourments qui ne se soldaient que par des humiliations et des tourments supplémentaires; des échecs successifs et l'impression qu'elle n'aurait jamais rien de ce qu'elle estimait mériter ?
Elle tenta de se focaliser sur les paroles pleines de sagesse du Maître, et se les répéta encore et encore, jusqu'à acquérir l'intime conviction qu'elles étaient pleines de sens et qu'il n'éxistait aucune autre manière de penser. Ni d'exister. La nuit venait tout juste de commencer quand elle se mit à réfléchir, et ce n'est qu'une fois que le soleil se mit à lécher la ligne d'horizon qu'elle sut ce qu'elle devait faire.
Ses yeux s'ouvrirent et elle quitta son lit en clopinant, ignorant les pics de douleur qui incendiaient son corps tout entier. Elle s'était affranchie de toute les chaînes qu'on lui avait imposée au long de sa vie pour la vouer au service du Maître, et toute celles qu'elle revêtait aujourd'hui étaient de son fait. Elle l'avait choisi. Une seule faisait exception et entravait sa progression, et elle comptait s'en séparer sans attendre davantage. Elle avait déjà bien trop attendu.
Elle était paisible et sereine quand elle passa la porte de la chambre, et elle le resta quand elle se hissa sur le lit. Eurydice s'éveilla aussitôt et la dévisagea sans comprendre. Un élan de compassion traversa ses yeux clairs et elle tendit un bras vers sa cadette, lui adressant un sourire rayonnant de ceux dont elle avait le secret.
Mais elle n'eut droit à aucune réponse. Eugénie se planta devant elle, puis elle s'installa à califourchon sur son bassin, la toisant du haut de sa position. L'aînée ne comprit pas immédiatement, mais elle étendit son sourire en posant ses mains sur les cuisses de la rousse. Elle avait attendu qu'elle vienne vers elle pendant un an, et cela survenait au terme d'un combat.
Eurydice se méprenait. Elle n'en eut la certitude que quand elle sentit l'acier traverser son ventre et lui percer le foie, soufflant un hoquet silencieux en écarquillant les yeux. Son entraînement l'avait conditionnée, et elle ne laissa pas la surprise prendre le dessus, se tordant pour envoyer son poing percuter la joue de sa cadette qui roula sur le coté en gémissant et eut autant de mal qu'elle à se redresser.
Mais Eugénie faisait fi de la douleur. Elle la connaissait bien, très bien; elle avait pris bien plus de coups qu'Eurydice n'aurait pu en supporter et elle se jeta à son cou pour la poignarder à nouveau. La main de l'aînée se ferma sur son poignet et elle tint bon, confrontant le regard de la rousse en gémissant alors qu'une vive douleur lui dévorait les entrailles. Une douleur qui diminuait ses forces, encore et encore, là où elle semblait accroître celles de sa cadette dont le bras descendait lentement.
Son dernier recours fut une supplique étouffée, et la pointe du surin piqua sa poitrine avant de s'y enfoncer avec une lenteur effroyable. Quand la douleur prit le dessus sur la volonté de l'aînée, la lame acheva de traverser son coeur d'un seul coup, et ses muscles se relâchèrent progressivement. J'ai réussi... Un sourire malsain fleurit sur les lèvres de la rousse tandis que la vie de sa rivale s'écoulait sous ses yeux, et elle se laissa doucement basculer sur le coté pour fixer le plafond avec la certitude absolue que maintenant que sa dernière entrave s'était envolée, elle pourrait enfin acquérir la vie à laquelle elle aspirait depuis toujours, et approcher du destin que lui avait promis son maître... | |
| | | Marchebruine
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| Sujet: Re: La voie sans retour Ven 27 Avr - 17:00 | |
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Chapitre V : Cheveux de feu & coeur de glace
Aveline Levalet se tenait droite et fière, promenant ses grands yeux verts sur la foule qui occupait la salle de bal. Elle portait une robe d'un vert vénéneux fermée jusqu'au cou qui l'étouffait et lui donnait l'impression d'être ligotée, et elle avait monté ses cheveux en un chignon complexe d'où s'échappaient quelques boucles folles encadrant son visage pâle.
Autour d'elle, la noblesse s'agitait; l'on échangeait des ragots, l'on médisait sur ses voisins, et chacun tentait de tirer son épingle d'un jeu auquel elle était désormais plus que familliére. On ne la connaissait pas encore, puisqu'elle n'avait jamais été présentée à ces cercles, mais elle aussi avait son rôle à jouer dans cette écoeurante soirée mondaine. Elle était ici pour une seule et unique raison, et cette raison venait tout juste de se glisser dans la pièce. Enfin ! Sa patience était illimitée mais elle n'aimait pas attendre. Pourtant, elle dut attendre encore un instant pour n'éveiller aucun soupçons, et quand sa cible eut enfin terminé de saluer les nobles qu'elle connaissait, elle se détacha enfin de son recoin pour l'approcher.
Le marquis de Flandres-Dessables était un homme d'une cinquantaine d'années mais le temps semblait l'avoir épargné. Il était de bonne taille, et sa carrière dans l'armée régulière l'avait doté de larges épaules et d'un corps svelte qu'il entretenait malgré qu'il ait abandonné ses charges après avoir perdu sa main gauche et l'oeil du même coté après l'explosion d'un chariot de munitions tout près de lui. Il avait été un officier respecté, et il restait un homme respectable. Mais de cela, Aveline n'avait pas à s'en soucier.
La salle s'animait progressivement et le brouhaha devenait insoutenable. Pour elle plus que pour quiconque, la masse grouillante qu'ils formaient était quelque chose de particulièrement nauséabond, et devant ses yeux passaient parfois des images qui lui venaient d'un autre monde. Qui venaient de ses rêves et de ses hantises. Pendant de longues années, plus de la moitié de sa vie; et elle n'avait que 18ans, les cauchemars qui ruinaient ses nuits avaient été un fléau contre lequel elle ne pouvait rien faire d'autre que subir.
A présent, il s'agissait d'une force pour elle. Elle avait appris à vivre avec, elle avait dompté ses maux, et le pouvoir qu'ils contenaient lui donnaient une perception très particulière de tout ce qui l'entourait. Ses sens, tout ses sens, étaient accrus, et il lui arrivait de percevoir des effluves issues de l'invisible, et de percevoir quelques unes des pensées de ceux qui l'entouraient. Défaire le vrai du faux dans ce qu'elle percevait était une épreuve autrement plus difficile que le simple fait de percevoir, et quand il y avait autant d'esprits confrontés au sien, elle se sentait oppressée et menacée par tout ce qui l'entourait.
Plus que les vagues échos de leurs pensées, elle percevait surtout en eux des reflets de ceux auxquels le Maître l'avait livrée pour la punir d'avoir assassiné son aînée, trois ans plus tôt. Il l'avait félicitée, mais il lui avait fait comprendre qu'en dépit du fait qu'il s'agisse là de ce qu'il avait attendu d'elle, il ne pouvait pas la laisser désobéir à ses commandements. Alors il l'avait faite parée comme une dame, et il l'avait lâchée dans une soirée mondaine qu'il avait organisée en son honneur. Impuissante pour une raison qu'elle avait été incapable de comprendre alors; et, elle savait aujourd'hui qu'il avait manipulé son esprit pour qu'elle se montre aussi docile qu'une petite fille, elle avait été offerte, elle et sa virginité, à douze compagnons et compagnes qui s'étaient délectés de sa chair toute la nuit durant et jusqu'à ce que le soleil atteigne son zénith le jour suivant.
Cette expérience l'avait faite sombrer dans le mutisme pendant plusieurs mois mais elle avait poursuivi son entraînement en bénéficiant des faveurs promises pour avoir "remporté" ses épreuves, et bien que cette expérience se soit profondément ancrée en elle, elle avait acquis la certitude qu'elle ne pourrait plus jamais souffrir d'une humiliation aussi dégradante. Arthur de Flandres-Dessables n'était pas le genre d'Homme à participer à ces sauteries abominables, et elle ne l'avait jamais vu fréquenter le Cercle du Maître. Et c'est pour cette raison qu'on lui avait demandée de l'approcher. Et c'est ce qu'elle fit, flirtant comme une jeune midinette en jouant la carte de la candeur comme on lui avait appris à le faire à la perfection.
Et il n'y vit que du feu. Le quinquagénaire se laissa émouvoir par ses manières distinguées et maladroites, et se laissa séduire aussi bien par son minois juvénile que par son discours plein d'une délicieuse naïveté. Cela faisait quelques semaines qu'elle l'observait, et elle avait appris qu'en dépit de sa rigueur et de son apparente bienséance, Arthur de Flandres-Dessables avait un faible pour les jeunes filles depuis la mort de son épouse. Et elle était douée pour jouer le rôle de la jeune fille qu'il affectionnait tant.
La soirée passa, trop lentement à son goût, et les convives s'amusèrent des attractions qu'on avait prévus pour eux; des jeux stupides qui faisaient piaffer les dames et des démonstrations de fausse virilités qui laissaient aux hommes le plaisir de faire un étalage abusif de leurs aptitudes respectives. Ils sont tous méprisables...si méprisables. Elle n'avait pour ainsi dire aucune affection pour ce genre de trivialités sans but, et avait développé au cours de son adolescence un mépris tout aussi profond pour tout ce qui touchait aux rapports sociaux. Elle détestait le monde entier, mais avait appris à étouffer cette haine viscérale derrière un masque de glace qu'elle troquait parfois pour d'autres quand la situation l'éxigeait. Comme c'était le cas ce soir là.
Arthur finit, - enfin - par l'inviter à se joindre à lui pour une promenade nocturne; un plaisir qu'il affectionnait tout particulièrement comme elle avait pu le constater. Elle fit mine d'hésiter un instant puis céda seulement quand une vague impatience se manifesta sur les traits du quinquagénaire, lui soumettant toutefois comme condition qu'il lui faudrait l'attendre près d'une haie loin du coeur de la fête, là où personne ne viendrait mettre en doute leur fidélité respective. Car l'un comme l'autre étaient officiellement engagé; elle auprès du Maître, et lui avec une jeune veuve à qui il avait promis l'accès à ses richesses et privilèges en l'échange de sa compagnie et de quelques instants de tendresse pour pallier à sa solitude.
Le marquis y consentit, et il quitta la fête avant elle; qui l'imita une heure plus tard pour le rejoindre à l'écart. Ils se retrouvèrent près de la haie qu'elle lui avait désignée, et Aveline comme on l'appelait dans ce rôle s'assura que personne n'avait eu la même idée et ne rôdait aux alentours. Absolument personne... Quand cette certitude lui fut acquise, la jeune femme vint présenter ses plus sincères excuses à son soupirant qui lui reprocha d'avoir tant tardé, et mit un terme à sa complainte dans un baiser auquel elle sut donner toute la passion qu'il attendait d'elle.
Ils en échangèrent plusieurs, et leurs mains devinrent bien vite baladeuses, puis elle se défit de lui pour l'entraîner derrière la haie qui cachait à la vue des visiteurs une falaise haute de près de trente mètre. Ils s'en tinrent toutefois éloignés et poursuivirent leurs batifolages à l'abri de tout soupçons, et la rousse laissa sa proie se gorger d'un plaisir croissant, intimement pressée contre lui, enveloppant sa tête entre ses bras en l'écrasant contre sa poitrine qu'il avait entrepris de découvrir un instant plus tôt. Un craquement sinistre mit fin à ses soupirs et grondements; coupant court aux bruits de succion que ses lèvres produisaient en se fermant sur la peau de la jeune femme, et Aveline Levalet se redressa en repoussant le cadavre à la nuque brisée sur le coté. Elle savourait tout particulièrement la mort de ses cibles quand elle leur tombait dessus dans la plus grande surprise; les arrachant à un plaisant moment qui resterait leur dernier souvenir avant le choc final.
Il ne s'agissait pas là d'une forme de compassion quelconque, mais d'un plaisir sadique qu'elle avait développé au cours des missions que lui avait confié le Maître ces dernières années; un plaisir malsain qu'elle ne prenait même pas la peine d'étouffer, puisque c'est ainsi que le Maître voulait qu'elle soit. L'ultime privilège qu'il lui avait accordé avait été de l'allonger dans son lit de temps à autre pour la laisser exprimer l'amour inconditionnel qu'elle avait pour lui, et pendant ces moments là, elle s'étonnait de voir à quel point elle pouvait l'aimer et le haïr, et comme elle parvenait à combiner ces deux opposés.
Mais elle se garda de savourer trop longtemps. Elle devait achever sa mission avant toute chose, et elle traina le cadavre du marquis jusqu'à la falaise où elle le laissa simplement chuter dans le vide et se briser sur les rochers en contrebas. Si tout s'était passé comme convenu, le Maître avait, avant que la fête ne commence, fait écrire une lettre au marquis qui implorait ses enfants de le pardonner pour sa lâcheté; et son aîné la trouverait au matin et prendrait les rennes de la famille en laissant toutefois la gestion du domaine à leur parrain; qui n'était autre que le Maître sous son pseudonyme le plus commun et connu, Octave de Rivesonge.
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| | | Marchebruine
Messages : 100 Date d'inscription : 18/04/2018
| Sujet: Re: La voie sans retour Ven 27 Avr - 17:01 | |
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Ch.VI : L'équilibre
Cette nuit là, Eugénie se réveilla au beau milieu de son cauchemar. Un mince filet de sueur froide glissait le long de son échine, et elle s'était redressée en ouvrant les yeux en grand, prise par une vague de panique qui lui sembla insurmontable. Au moins pour un temps. Son rêve ne s'arrêtait plus à une vision trop réaliste qui l'étreignait la nuit durant, et il empiétait dangereusement sur ses temps d'éveils, s'allongeant de plus en plus en dévorant les restes de sa conscience morceau après morceau. Une jeune fille normalement constituée se serait probablement déjà ôtée la vie d'avoir tant subi, mais pas elle.
Pourtant, elle eut une réaction plus qu'humaine. A petits pas; si petits que personne dans le manoir n'y prêta attention, la rouquine franchit la porte de sa chambre et traversa le long couloir qui la séparait de celle du Maître. Dans un cliquetis métallique à peine audible, elle crocheta la serrure et se faufila à l'intérieur, encore partiellement tétanisée et mise à mal par les visions qui déformaient sa réalité. Le lit n'émit pas le moindre grincement quand elle écrasa sa main sur le matelas pour prendre place, contrainte de suspendre son geste.
Le Maître n'était pas seul. Il n'était même pas là. A sa place, une femme, à peine plus jeune qu'elle, qui partageait plusieurs de ses traits et lui semblait vaguement familière bien qu'elle acquis vite la certitude qu'elles ne s'étaient jamais rencontrées. Pas à visage découverts, tout du moins. La soirée qui s'était tenue la veille avait vocation à singer le Kirin'tor, autorité suprême censée étouffer les manifestations les plus virulentes de la magie; parmi lesquelles figuraient la magie pratiquées par le Maître. Et par elle. Alors il les invitaient sous son toit, leur faisait allègrement profiter de sa fortune et des plaisirs infinis du manoir, et ce sans que jamais l'ombre d'un soupçon tangible ne pèse sur sa personne.
Au regard d'Eugénie, tout dans ce que le Maître faisait ou préparait était d'une absolue perfection et ne souffrait jamais d'aucun défauts. Celle ci devait être l'une des élèves venues fêter l'obtention d'une quelconque graduation de l'académie, et bien qu'Eugénie se soit accoutumée à la tendance de son mentor à prendre multitude d'amantes, elle n'en restait pas moins agacée. Plus de jalousie, seulement une pointe d'agacement lié à son besoin de réconfort. L'espace d'un instant, il lui traversa l'esprit l'idée qu'elle puisse contrarier son Maître en le privant de son dessert qu'il voudrait certainement finir de savourer au matin, mais cette pensée fut aussitôt réprimée par une imprécation qui semblait venir des murs mêmes du manoir.
Ici, tout ce que l'on ressentait, le Maître le ressentait également, mais là où sa présence pouvait devenir incommodante pour le commun des mortels, elle avait quelque chose de rassurant pour l'apprentie. Les gonds; graissés toute les semaines, ne firent pas le moindre bruit quand elle quitta la chambre pour suivre son appel. Elle n'eut pas même besoin de réfléchir, la présence du mentaliste suffisait à elle seule à faire fonctionner son coeur tout entier, comme s'il eut s'agit d'une simple marionnette articulée autour de quelques fils reliés à ses mains, et elle se retrouva bientôt assise dans un fauteuil sur le balcon, à la même table que lui.
Autour d'eux, abattus par l'alcool ou les drogues multiples qu'ils avaient ingurgités tout au long de la soirée, l'on pouvait compter une dizaine de convives issus de la noblesse radieuse de Hurlevent ou de la mageocratie de Dalaran; parfois des étudiants, parfois pas. Ils étaient tous égaux dans l'obscénité de leurs postures. Là où certains couples étaient si intimement liés que l'on peinait à distinguer à qui appartenait tel ou tel membre, d'autres étaient rassemblés par paquets, ou bien laissés pour compte et abandonnés sur le sol après une dernière chute. Eugénie n'avait pas la moindre considération pour cette masse grouillante, elle les haïssait autant qu'au jour de son intronisation à ce monde, et rien dans ce qu'ils lui avaient montrés jusque là ne tendait à la faire changer d'avis les concernant. A ses yeux, il s'agissait ni plus ni moins que d'un tas de porcs assoiffés de vices en tout genres.
- Si tu avais besoin de moi, pourquoi ne m'as-tu pas appelé comme je t'ai appris à le faire ?
La voix du Maître fit tressauter la jeune fille, jusque là plongée dans ses considérations. Elle associait un mélange délicieux de douceur et d'assurance que son timbre grave sublimait autant que la manière qu'il employait pour communiquer avec elle. Ses lèvres ne bougeaient pas, et bien qu'il s'agisse de télépathie, il savait faire en sorte que ses interlocuteurs ne le remarquent même pas. Pour la majorité, il suffisait de troubler très légèrement leurs perceptions, et ils ne songeaient même pas que ce puisse être possible. Ou qu'il y put y trouver le moindre intérêt. Le Maître avait entraîné Eugénie pour qu'elle mémorise absolument tout ce qu'elle voyait et entendait, aussi ce genre de détails n'étaient pas de ceux qui pouvaient échapper à ses sens. D'autant que l'Ombre, bien qu'en de moindres proportions depuis les premiers dérèglements dans ses cauchemars, étendait tout ses sens et entretenait une empathie surnaturelle qui lui permettait de sentir par le biais de l'esprit de ceux qui l'entouraient plus que dans l'usage de ses sens communs.
Elle n'eut pas besoin de lui répondre; elle n'en avait jamais besoin, puisqu'il pouvait trouver les réponses directement dans son esprit, et une vague de sérénité dissipa ses craintes nocturnes aussitôt qu'il posa sa main sur la sienne. Malgré le temps qui passait; et cela faisait près de 8ans maintenant, le Maître ne semblait pas affecté par le poids des années, et sa peau était toujours aussi soyeuse qu'au jour où il l'avait étreinte la première fois. Une brise froide souffla sur le balcon, poussant Eugénie à venir chercher refuge dans les bras du seigneur qui l'accueillit sans un mot, l'étreignant étroitement en laissant son aura l'envelopper complétement.
- Je sais que tu te poses des questions, ces temps-ci. Et je t'ai appris à ne jamais m'en poser. Mais exceptionnellement, je vais te confier certaines réponses qu'il te faudra connaître. Que tu as besoin de connaître.
Eugénie leva les yeux vers son mentor sans sourciller. Elle avait parfaitement conscience de ses capacités à lire dans son esprit comme dans un livre ouvert, et ne s'en étonnait même plus. Si elle en avait eu le besoin, elle aurait certainement pu le repousser et lui confronter sa propre volonté; celle qu'il avait lui même forgé au fil des années. Mais outre le fait qu'elle n'y ait jamais trouvé le moindre intérêt, elle avait la certitude, profondément ancrée en elle, qu'il avait du prendre ses dispositions si jamais elle avait du céder à de telles intentions. Peu lui importaient toute ces considérations aujourd'hui : Il lui avait promis des réponses, et c'était suffisamment rare pour qu'elle prête à ses mots une oreille plus qu'attentive.
- Tu as eu vingt ans il y a quelques jours, et bien que tu me sois venue tardivement en comparaison d'autres apprentis, tu as fais montre de qualités largement supérieures à celles de tes prédécesseurs. D'ici quelques années, tu surpasseras Phillis. Cela ne fait aucun doute. Quand tu t'es présentée à moi, après avoir attendue sous la pluie que l'on admette que tu en valais la peine, tu m'as dit avec la fermeté qu'il restait dans ta voix éraillée que ton seul souhait était de t'élever au dessus des autres.
Un léger sourire passa sur les lèvres de la rousse qui se remémorait avec amertume les jours et les nuits entières qu'elle avait passée à endurer les averses glaciales de l'hiver pendant lequel elle avait fui le domaine de sa famille.
- Mais ce que tu attendais, c'était que je te donne le pouvoir d'assouvir la vengeance que tu souhaitais exercer sur les tiens pour ce à quoi ils te destinaient. Et je l'ai fait. Et tu as obtenu ce que tu voulais, pourtant tu es toujours là. Et je dois admettre avoir quelques doutes concernant les motifs qui te poussent à rester.
Persuadée qu'il était tout à fait capable de trouver les réponses à ses interrogations par lui même, Eugénie resta murée dans un silence de mort aussi longtemps qu'il le lui permit. Elle même n'était pas certaine des raisons qui la poussaient à poursuivre sur la voie qu'elle avait choisi, ou que le destin lui avait imposée; et qu'on lui pose la question lui faisait réaliser l'impact que cela avait sur sa volonté et le contrôle qu'elle pouvait exercer sur ses cauchemars. Comme il ne décrochait plus un mot, l'apprentie se sentit finalement contrainte de répondre clairement.
- Je...Je ne sais pas, Maître. Je n'en sais rien, rien du tout. Je pensais que mon objectif était la seule raison qui me poussait à tenir, mais cela fait un an que vous m'en avez libérée. J'ai alors pensé que l'amour que j'avais pour vous l'avait remplacé...mais j'ai conscience qu'il ne s'agit pas d'un objectif suffisant. Qu'il n'est pas à la hauteur de ce que vous attendez...et de ce que j'attends moi même de moi. Alors...je ne sais plus.
Ses hésitations se muèrent bientôt en une frustration qui s'intensifia à mesure que le Maître lui laissait subir le silence, et elle manqua de peu de laisser échapper un soupir de soulagement quand il reprît finalement la parole pour lui répondre. Et, enfin, lui apporter les réponses qu'elles attendaient...ou plutôt l'aidait à trouver ses propres réponses.
- Je ne peux pas trouver un but à ta place. Servir les trois vertus demande une résolution à toute épreuve, et tu possèdes cette résolution au fond de toi. Elle s'exprime au travers de tout ce que tu entreprends, elle fait de toi une arme puissante et un individu capable de laisser une empreinte massive dans la trame universelle.
Je t'ai promis, à ton arrivée, que tu étais destinée à faire de grandes choses, et je le crois toujours. Tu t'es déjà demandée ce pour quoi je t'employais, et ce pour quoi je t'ai offert cette force. Tu as probablement du te dire que je ne l'avais fait que pour t'instrumentaliser, pour faire de toi un jouet dont je pouvais disposer comme il me plaisait.
Mais je sers de plus grands desseins, Eugénie. Et tu les as servis indirectement pendant toute ces années, mais je vais, aujourd'hui, t'expliquer ce pourquoi tu as sacrifié près de la moitié de ton existence.
La jeune fille s'était figée et écoutait avec plus d'attention qu'une élève studieuse un premier jour de classe. Elle s'était décollée de lui et réinstallée dans son fauteuil, et ses grands yeux verts étaient plantés dans les siens pour raffermir le lien télépathique qui les unissaient.
- Pendant de longues années, j'ai moi même servi mon propre maître, et je l'ai vu être englouti par les ombres qu'il prétendait contrôler. Pourtant, c'était un fidèle suivant de la voie, et il était tout aussi fidèle aux trois vertus que nous le sommes. Voire davantage. Sais-tu pourquoi les ombres l'ont englouti ?
Si la question n'avait pas vraiment vocation à obtenir une réponse, Eugénie secoua tout de même la tête.
- L'ombre et la lumière reposent sur la même balance, Eugénie. Et au milieu se trouve le monde, et tout ceux qui croient ou ne croient pas. Nous compris. Cette balance, c'est l'univers, et quand il penche d'un coté...alors il y a un déséquilibre, et le monde terrestre est bouleversé. Si ce déséquilibre est maintenu, à l'échelle de l'Univers, et plus modestement à l'échelle d'une personne, alors ce qui se trouve sur le plateau le plus haut finit par couler sur le plateau le plus bas.
Et quand il manque l'une des deux forces nécessaires pour le respect de l'équilibre...eh bien, tout ce qui se trouve au centre est englouti. C'est pourquoi l'Univers possède ses propres moyens de réguler l'usage de telle ou telle forme de magie; ou l'exercice de certaines pensées. Ainsi, s'il y a un déséquilibre, il se produira toujours quelque chose qui renversera le cours des évènements et rétablira la balance.
A l'échelle d'une personne, cet équilibre est la seule manière de perdurer et d'échapper à l'engloutissement. J'étais un prêtre de l'Eglise autrefois, et j'ai pris, en rencontrant mon maître, conscience de l'importance de la balance et de son maintien. Alors j'ai choisi de me consacrer à l'autre coté de la voie, non pas pour me laisser engloutir par les ténèbres, mais pour guider ceux qui naissent avec la vocation naturelle de compenser un manque, d'un coté ou de l'autre de la balance. Tu es de ceux là, Eugénie. Et si tu n'as aucun but, sache que l'Univers en a un pour toi.
Sur ces mots, le maître se redressa et s'étira avec un mélange de grace et de flegme. Il tira sur une pipe à eau encore pleine qui attendait tranquillement sur la table, puis poussa un long soupir avant de s'éloigner dans un silence cérémonieux en laissant son apprentie en proie à d'intenses réflexions. Ses mots trouvaient leur écho dans le coeur de la jeune fille, et il ne fallut que quelques heures à observer l'horizon pour qu'elle ne prenne pleinement conscience de ce que ces mots signifiaient.
Ce qu'elle était avait été défini avant même qu'elle ne pousse son premier cri. Elle n'avait aucune raison d'être ce qu'elle était, mais elle l'était. Telle était sa nature; et aussi naturellement qu'elle respirait, il lui sembla que se soumettre à sa nature était ce qui convenait de faire le mieux. L'équilibre... Quand les "paroles" du prêtre s'étaient manifestées dans son esprit par le biais d'images plus que par de véritables mots, bien qu'elle les y associent naturellement, ce n'était pas une balance qui lui était apparue, mais un combat.
Sa réponse était là.
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| | | Marchebruine
Messages : 100 Date d'inscription : 18/04/2018
| Sujet: Re: La voie sans retour Ven 27 Avr - 17:02 | |
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Chapitre VII : Confrontation
En dépit du contrôle surhumain qu'Eugénie avait sur son propre corps, il lui fallut ce jour là plusieurs heures pour atteindre la transe méditative dans laquelle elle avait voulu se plonger à la suite de la discussion qu'elle avait eu avec le Maître. Il lui avait laissée sa journée pour s'y affairer. Devant la difficulté que représentait l'épreuve qu'elle s'apprêtait à traverser, Eugénie avait pris toute les dispositions nécessaires. Elle avait allumé plusieurs bougies et braséros qui diffusaient une fumée odorante et enivrante et qui avait pour vertu de faciliter la transition entre l'état de conscience et la transe méditative. En plus de cela, elle avait ingurgité plusieurs drogues qui l'avaient anesthésiée physiquement mais peinait à lui faire passer le cap.
La peur forçait son corps à résister au mieux, et ses résistances étaient si élevées qu'elle continua de craindre que l'exercice lui soit rendu impossible jusqu'à ce que sa vision ne prenne forme autour d'elle. Les visages difformes qu'elle avait coutume de fuir toute les nuits déchirèrent les murs de pierre de sa chambre, bientôt rejoints par leurs corps qui s'entassèrent et s'emmêlèrent grossièrement. Quand elle baissa les yeux, elle vit le tapis de viscères frétiller au sol dans une mare de sang visqueux, et sentit sous ses cuisses nues l'autel de chair qui pulsait à un rythme régulier et paisible.
Eugénie inspira longuement et se dressa sur ses jambes, dominant la pièce de toute sa hauteur ainsi postée sur l'autel. Elle calqua le rythme de son coeur et de sa respiration sur le battement de la pièce, puis inspecta les murs avec une résolution qu'elle n'avait jamais su mobiliser dans ses rêves jusque là. Pendant trop d'années elle avait laisser l'ombre l'engloutir. Elle s'était livrée à elle de son plein gré, et elle avait cessé de se défendre pour se complaire dans le confort de la résignation. Et c'était sa dernière nuit. La dernière nuit de ses cauchemars.
Quand la cloche de Lordaeron retentit, elle resta stoïque. Quand le silence se fit dans la pièce et que tout autre son que celui des bouches moites des créatures qui se détachaient des murs se tut, elle resta stoïque. Ce n'est qu'une fois qu'elle les vit approcher que la jeune fille réagit. D'un bond, elle se propulsa en l'air et s'enroula sur elle même pour se rétablir dans le dos de l'un de ses cauchemars. Elle pivota sur elle même et plia le genou, balayant les jambes de trois de ses assaillants d'un seul assaut. Et elle bougea. Elle ne pouvait pas se permettre de rester statique : Le sol tentait lui aussi de la contraindre et de l'engloutir.
Alors elle bougea, sans s'arrêter. Elle fit des voltes, des tours, des bonds et des enjambées magistrales, tenant parfois sur les mains, parfois sur les pieds; s'accrochant même à ses cauchemars pour éviter d'être engloutie encore. Jamais plus ! Sa main se ferma sur le poignet d'un cauchemar et elle le tordit jusqu'à le faire ployer vers le sol, enfonçant son talon contre son coude pour faire éclater l'articulation avant que la cuillère de son pied ne glisse le long du bras pour se coller à son cou. Elle tira d'un coup sec, arrachant l'avant bras fragile de la créature, puis elle bougea encore. Jamais plus ! C'est terminé ! Tout en préservant le calme froid qui lui permettait d'anticiper les assauts incessants de ses démons personnels, la rousse fit volte face et enfonça l'os brisé qu'elle tenait entre les mains dans la tempe d'un autre assaillant. Dans le même geste, terminant le pivot qu'elle avait amorcé, elle se ramassa sur les mains et se projeta vers un autre, pulvérisant sa cage thoracique à pieds joints.
Tout ses efforts n'avaient aucun effet. Bientôt, les morts se reconstituèrent, et ses forces commencèrent à lui manquer. Mais sa peur avait disparu. Elle les avait confrontés, elle avait lutté avec ardeur, et elle continuerait de lutter jusqu'à ce se vider de toute sa force. Il y eut encore des coups et des os brisés; il y eu encore des morts et des renaissances, et quand enfin la force vint à lui manquer, les cauchemars s'agglutinèrent autour d'elle et commencèrent à enfoncer leurs dents cassantes dans sa chair tendre. Les dernières années l'avaient tant accoutumées à cette mort atroce qu'elle avait cessé de la craindre. Jusqu'à aujourd'hui. Alors qu'elle était acculée, prise dans l'étau sordide de leurs membres poisseux de sang, un élan de terreur froide l'envahit jusqu'au plus profond de son être, et elle se débattit comme elle ne l'avait pas fait depuis des années.
Sa chair se dissolvait, et ils lui avaient rongée jusqu'aux genoux et aux coudes quand elle sentit le pouvoir l'investir et transcender la douleur. Elle n'avait jamais manquée de volonté, mais chacun des objectifs qu'elle s'était fixée avaient été balayés par le temps. Elle les avaient réalisés et s'était retrouvée sans le moindre but, à se contenter d'obéir, sans savoir pourquoi. Aujourd'hui elle savait, ou au moins en avait acquis la certitude, et l'assurance dont elle fit preuve se manifesta dans son rêve. Toute la lumière de la pièce, éclairée de toute part pour qu'elle puisse voir son corps être dévoré à chaque phase, se rétracta doucement autour d'elle. Des volutes d'un noir percé de notes pourpres et cramoisies montèrent du sol et passèrent le long des liens de chair qui retenaient son corps, glissant sur ce qu'il lui restait de peau jusqu'à la recouvrir complétement.
Les cauchemars se heurtèrent à cette muraille avec une insistance déroutante, mais leurs dents finirent par se briser dessus, et leurs griffes après elles. Ils continuaient de mâcher, et ce furent finalement leurs mâchoires qui cédèrent. Ils continuèrent de gratter, et ce furent finalement leurs doigts qui se brisèrent. Lentement, les membres arrachés de la jeune fille se recomposèrent, et elle se redressa en écartant les restes pitoyables de ses assaillants à moitié disloqués, éclairant les ténèbres de la salle par le reflet de sa volonté, matérialisée comme un cocon protecteur qui irradiait d'une énergie malsaine.
L'ombre engloutissait tout ce qu'elle touchait, et bientôt elle trouva le courage de se confronter à un mur par elle même, passant au travers comme si elle fendait une motte de beurre tiède. Derrière, elle trouva une salle identique en tout, et le mur qui lui faisait face s'ouvrit sur une silhouette qui lui était en tout point similaire mais qui rayonnait d'une lumière étouffante et aveuglante. Ce n'était que maintenant que commençait son véritable combat; et si elle avait eu pleinement conscience de ce qu'elle vivait, la jeune fille aurait trouvé cette représentation très tranchée d'un comique ridicule.
Il ne lui fallut que quelques échanges avec son double pour comprendre que le combat ne mènerait nulle part : leurs forces étaient équivalentes en tout points, son ombre avait tout ses défauts, toute ses qualités et tout ses réflexes. A chacune de ses attaques, elle répondait avec la parade adaptée, et elle lui rétorquait par un coup qu'elle pouvait anticiper sans le moindre effort. Il n'y avait pas la moindre nuance entre l'une et l'autre, et ce constat lui facilita la tâche. Pendant un instant, elle se remémora les paroles du Maître, et elle resta focalisée sur sa Lumière. Elle avait vraisemblablement eut la force de traverser la même épreuve qu'elle avant d'arriver dans cette salle ci, et avait enduré les mêmes tourments qu'elle, quelle que soit la manière qu'elle avait choisie pour s'en défendre. Elles en étaient au même point, quelles que soit leurs affinités. Et elles avaient déjà vaincues leur ennemi.
Quand elle ouvrit les yeux sur le monde; Eugénie sut qu'elle devait partir, et elle ne laissa même pas une note avant de quitter le manoir sous l'oeil satisfait du Maître, qui voyait et savait tout ce qui s'y passait.
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| | | Marchebruine
Messages : 100 Date d'inscription : 18/04/2018
| Sujet: Re: La voie sans retour Ven 27 Avr - 17:02 | |
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Chapitre final : Chronique
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- Journal d'observation de Gabrielle de Rougeval : Conclusion
Avec la bénédiction d'Octave et depuis qu'elle m'a effleurée cette nuit où je n'ai su répondre qu'en feignant l'endormissement, je me suis permis de suivre le parcours tumultueux d'Eugénie Deauclair.
Je n'ai jamais eu la prétention de comprendre ce qu'elle pouvait ressentir, ni même de croire que j'en serais un jour capable, mais je puis cependant assurer que sa rédemption n'aura jamais lieu. Aspire-t'elle seulement à l'obtenir ? Je ne sais pas, et sept ans ne m'auront pas suffit pour le déterminer.
Il me sembla qu'elle eut une réelle intention de faire le bien pendant ses premières années d'engagement. En effet, elle s'investit dans la guerre avec une ardeur remarquable, et ses talents de médecin furent d'un grand secours sur le front de Silithus. Elle s'illustra par sa maîtrise exceptionnelle et l'absence totale de terreur face à ces monstres impies, et s'en tint à cette démarche jusqu'en Norfendre.
Bien qu'opérant avec méthode et professionnalisme, il semble qu'elle tint plusieurs journaux et livres de notes où elle confina les observations qu'elle fit sur les différentes créatures qu'elle eut l'occasion d'étudier sur place. Il est moins sûr qu'elle en fit de même avec ses patients; et si certains prétendent qu'elle fit usage de certains d'entre eux pour expérimenter certains maux, rien ne permit à personne de confirmer cette hypothèse. Pourtant, je suis persuadée qu'elle était vraie. Je l'ai vue, et j'ai senti sa proximité; suffisamment pour savoir que le mal réside en elle à un état si pur que toute ses bonnes intentions; si tant est qu'elle en ait eu un jour, ne sauraient aller contre sa nature.
J'appris de la bouche d'Octave qu'elle profita du Norfendre pour conduire des expériences sur des prisonniers; et je n'oserais consigner ici ses affiliations de peur que cela lui soit imputé d'une manière ou d'une autre. Et qu'elle apprenne que c'était de mon fait. Mais elle eut alors à craindre pour sa vie, plus encore quand elle fut suspectée d'avoir contribué à la corruption de plusieurs officiers, et elle choisit finalement de se retirer pour officier dans une plus modeste place.
Ainsi, elle passa les années suivantes à travailler en second pour le compte du médecin en chef de la prison centrale de Hurlevent; une perte de temps considérable au regard de ses aptitudes...Mais je me plaît à penser qu'elle entretint d'autres activités en parallèle; et ses visites régulières du manoir soutiennent cette théorie. Je ne sais pas si son investissement pour des causes justes relève d'un besoin de compenser avec sa nature, ou si elle emploie simplement ces bonnes oeuvres pour couvrir ce qu'elle est, et je dois admettre que cette étude se solde par un cuisant échec.
Je ne serais, je crois, jamais douée pour percer l'esprit des gens; et je crains qu'au contraire de moi, elle comme Octave soient particulièrement doués pour cela. Si elle avait le moindre doute, moi, je ne doute pas qu'elle trouverait ce journal, et je ne doute pas qu'elle serait capable de lire dans mon esprit avec bien plus d'aisance si elle devait étudier mon comportement.
Pour tout le reste; tout ce qui la concerne, je suis malgré moi pleine de doutes...
Dans un soupir nasal vaguement dédaigneux, Eugénie referma le journal qu'elle avait soustrait à sa propriétaire quelques jours plus tôt et releva le nez vers l'imposante bâtisse en trois ailes devant laquelle sa monture venait de s'arrêter, broutant quelques brins d'herbe. Elle était curieuse de savoir jusqu'où l'on pouvait tolérer l'exercice de sa "nature", mais le coup de baguette que lui asséna l'un des deux gardes qui l'accompagnait la ramena à la réalité.
Elle avait assassiné une famille entière en une nuit, et si cela représentait en soi un cuisant échec pour des raisons qu'elle n'avait pas pu leur donner, elle avait, en plus, été prise sur le retour; et livrée à cette possibilité qui n'en était pas vraiment une : La décapitation ou l'Aquila.
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