Marchebruine
Messages : 100 Date d'inscription : 18/04/2018
| Sujet: L'ours et les loups Lun 10 Fév - 18:14 | |
| - Citation :
Encore. C’est la première pensée qui vint à l’esprit du guerrier quand il franchit le seuil de sa demeure, aussitôt heurté de plein fouet par un vent froid et vivifiant, un vent du nord, qui portait avec lui une odeur qui n’aurait pu lui être plus familière. L’odeur de la chair, du sang et des viscères; la puanteur caractéristique du cadavre réduit en lambeaux. Torse nu, le bâtard s’autorisa un instant de doute, levant son oeil unique sur les frondaisons des arbres qui couronnaient son domaine si durement acquis, se brûlant les rétines sur gerbes de flammes solaires qui perçaient entre les nids de feuilles verdoyantes. Une plaisante vision dont il était le témoin chaque matin, avant d’enclencher sa routine martiale et de s’astreindre aux obligations qu’il s’imposait. Vider et réamorcer les pièges, vérifier l’intégrité des palissades, tailler les pieux qui les complétaient. Tant de précautions qui s’avéraient souvent utiles dans une région aussi plaisante à vivre qu’elle était sauvage et hostile. Ce n’était pas un matin comme les autres, et de cela, Valten en avait la certitude. Il l’avait acquise dès lors qu’il avait mis le pied dehors, alors que la région s’était abstenu de chanter son réveil comme elle le faisait toujours à cette heure-ci. Et rien ne pouvait tromper ses sens sur cette sensation; l’odeur cuivrée du sang était de celles qu’il ne pouvait oublier. Qu’il n’oublierait jamais. Il considéra un instant les environs, puis, alors qu’il préparait son volte face, tomba nez à nez avec la prêtresse qui partageait sa vie et son logis depuis son installation dans les Grisonnes. Encore enveloppée par les brumes du sommeil, la jeune femme n’en était pas moins consciente de la tempête à venir; elle s’était endurcie depuis son départ de la capitale. Marchebruine avait gravé dans son esprit l’horreur d’une forme de guerre que le guerrier lui même n’aurait su préféré à celle qu’il avait connu toute sa vie durant. Et la vie en Norfendre avait fini d’enterrer la jeune femme qui officiait paisiblement au sein de la capitale; lui imposant sa rudesse glaciale comme autant d’épreuves qui l’avait rendue plus forte.
Comme lui, elle savait, et, sans surprises, elle s’était portée aux cotés de son compagnon, anticipant ses besoins là comme en tout. Ils n’échangérent pas un mot, partageant le deuil de leur tranquillité des jours derniers dans un silence presque religieux. Il passa sa broigne, elle en noua les sangles. Il enfila ses brassards, elle serra son épaisse ceinture autour de sa taille. Puis elle lui tendit son épée, qu’il tira de son fourreau sans attendre, dévoilant son métal pâle et intouché, luisant d’un éclat à peine perceptible à l’oeil humain; un violet terne qui voilait la lame de la garde jusqu’à la pointe. Fléau. Le glaive qui depuis qu’il avait été forgé pour sa main ne l’avait jamais quitté. L’une des rares créations d’Eliphas l’Ancien et Duüm Brisemartel qui avait survécu à la fin de leur collaboration. Une lame forgée pour lui au jour de ses seize ans, et qui depuis lors, n’avait jamais changée de main.
Le guerrier échangea un dernier regard avec sa compagne et s’appréta à lui tourner le dos, retenu par sa main ferme accrochée au col de son gambison. Tout aussi naturellement qu’il pouvait danser avec sa lame, le fils de Lordaeron répondit à son éxigence silencieuse, courbant le dos pour échanger avec elle un baiser passionné; promesse muette qui l’engageait à revenir en vie. Une promesse qu’il avait tenu à de maintes occasions. Le hurlement de la Meute mit un terme à leur échange éphémère, et chacun se mit à l’oeuvre pour protéger son foyer. Elle, en verrouillant chaque porte, chaque fenêtre; en barricadant jusqu’à la plus étroite ouverture; lui, en s’avançant vers la barricade qui délimitait les contours du domaine, étirant et chauffant bras et poignets en ouvrant ses sens à la menace qui approchait à grands pas. Des Worgens. Il en venait de temps à autre, poussés par la faim, par petits groupes, généralement de trois à cinq individus; restes éparpillés des cultistes corrompus par Arugal lors de son exil sur ces terres; mais jamais plus. Jusqu’à aujourd’hui.
Le hurlement de la meute était plus intense cette fois-ci; repris par des dizaines de voix, et une vague inquiétude s’empara du colosse immobile, guettant la lisière des bois en étreignant d’une main distraite la hampe d’une des javelines qu’il avait réparti autour des palissades en prévision des attaques régulières dont le domaine était victime. Un couinement plaintif capta son attention sur la gauche. Puis un autre, plus loin dans la même direction. Un troisième sur la droite. Les pièges à ours ne trompaient généralement pas la vigilance d’individus isolés, mais cette fois-ci était différente. Très différente; et l’intelligence collective de la meute semblait renforcer l’orgueil de l’individu, qui sacrifiait sa prudence habituelle au profit d’un sentiment de sécurité renforcé par le nombre.
Le guerrier attendit patiemment, laissant la meute approche en respectant quelques minutes d’un silence absolu. Parfaitement immobile, il chassait de son esprit toutes les pensées parasites susceptibles de nuire à son combat à venir. Il n’y avait que lui, la lame, et la multitude qui approchait inexorablement de son refuge de quiétude. Comme il advenait souvent, un instant de silence annonça la tempête à venir; les chasseurs encerclaient leur proie, se préparaient tranquillement à leur assaut calculé. Non. Lui, Valten Valtieri, ne serait jamais la proie. D’une impulsion du talon, il se hissa sur la palissade et y pris appui pour se propulser en avant, étirant son bras vers l’arrière pour le détendre subitement, projetant sa lance en travers du crâne d’un Worgen tapi à proximité; un guetteur, qui le scrutait depuis les ombres depuis trop longtemps déjà. Attirer l’attention. Les éloigner de son foyer. De Tyanaïs.
Au pas de course, il s’élança furieusement vers une autre créature terrée à proximité; et son assaut, s’il avait destabilisé les prédateurs un instant, ne tarda guère à susciter chez eux une violente réaction de panique. Tous fondirent sur lui depuis leurs cachettes de fortunes dans les bois; et c’est seulement alors qu’il put se faire une vague idée de leur nombre. Peurt-être vingt. Sans doute davantage. Il n’avait pas le temps de s’arrêter pour compter, prît un nouvel élan et se jeta par dessus le tronc brisé d’un arbre à moitié couché contre un autre. La créature dissimulée derrière s’arqua vers lui en ouvrant grand sa gueule, et n’eut guère le temps d’en faire davantage; Fléau s’enfonça profondément dans sa nuque, creusant son dos jusqu’à la chute de reins. Un grognement sur la droite. Le froissement des feuilles dans son dos. Deux adversaires. D’une large embardée, le légionnaire se jeta à la rencontre de celui qui le flanquait, l’éjectant en arrière d’un puissant coup d’épaule en plantant son talon dans la terre, inversant la poussée de son corps pour faire volte-face et accueillir le second du tranchant de son glaive pour lui ouvrir l’abdomen sur toute sa largeur. Il conclut son demi-tour d’un pas chassé, évitant le cadavre frais du Worgen qui s’effondra à ses pieds dans un glapissement étranglé, et bondit vers l’autre en tendant tout son corps vers l’avant; la pointe de son arme en tête, déchargeant la force de tout ses muscles dans un estoc percutant, enfonçant sa lame jusqu’au poing dans la gueule de la créature stoppée net dans son élan.
D’un coup du plat du pied, il repoussa sa victime et s’arracha la chair du bras du coude jusqu’au poignet en libérant son épée dégoulinante de sang de l’étau de son crâne, et reprît la course, se portant de lui même au contact de ses adversaires qui s’efforçaient de l’encercler à nouveau. Briser le cercle. Garder le contrôle. Cinq d’entre eux se ruaient dans sa direction; face à lui, et les grondements féroces de six ou sept autres retentissaient déjà dans son dos. Ils étaient plus rapides. Il était mieux armé. Le Worgen en tête du groupe se jeta sur lui, toutes griffes et crocs dehors; et il en fit de même, pour finalement rouler sur son épaule et le laisser filer au dessus de lui en se déportant vers le second, tirant l’épais poignard ceint à sa ceinture pour trancher la patte du rachitique à poils brun tout près en se redressant. Quart de tour, jambe tendue, il envoya son talon broyer la gorge d’un autre monstre, tendant la pointe de son glaive à l’autre bout de son corps pour crever la poitrine d’un troisième. Demi-tour, sa lame retomba comme un marteau sur le crâne du Loup étouffé. En une pirouette, il laissa passer tout près de lui le corps du dernier monstre qui se jetait sur lui, mais garda une main en arrière pour lui crocheter l’épaule du bout de sa dague, ancrant profondément ses pieds au sol pour le tirer en arrière et lui déchirer la nuque, le repoussant vers son premier assaillant aussitôt fait. Gagner du temps.
Le reste de la meute ne tarderait guère à les rejoindre; ce n’était qu’une question de secondes, et il comptait les priver aussi longtemps qu’il le pouvait de l’avantage du nombre; au moins autant que faire se pouvait. Il ne fuit pas, mais alla à nouveau au contact, fuyant l’immobilité qui risquait de le condamner à la moindre erreur. Sur le chemin des sept Worgens qui le talonnaient un instant plus tôt, Valten trancha la patte avant du dernier survivant du petit groupe de front pour rejeter sa vaine tentative de lui arracher le visage d’un coup de griffes, puis lui traversa la mâchoire inférieure pour aller chercher sa cervelle par dessous. Fléau était inondée de sang; autant que son propriétaire, qui bondit en avant pour éviter la mort qui guettait son dos; essuyant une lacération trop superficielle pour qu’il ne daigne s’en inquiéter sur le moment. Faisant là encore la démonstration d’une maîtrise quasi absolue de son environnement, le guerrier se rangea derrière un arbre d’une pirouette, évitant la charge d’un Worgen touffu; brandit ses lames en croix pour intercepter les mâchoires d’un individu aux yeux d’un jaune profond, fit sauter tout le haut de son crâne d’une vigoureuse impulsion. Pirouette, frappe, un mort. Pas chassé, revers, un bras tranché, demi-tour, genoux à terre, lames croisées, décroisées; un flot d’entrailles répandues au sol. Roulade, frappe ascendante, une tête coupée. SA dague fila vers le crâne du Touffu; il inversa la tenue de son arme pour accueillir la créature qui tentait de le prendre à revers, l’arracha brutalement de son foie perforé, quart de tour. Replié sur lui même, il opposa le tranchant de sa lame aux mâchoires béantes d’un amputé du bras; les séparant l’une de l’autre d’un coup sec.
Silence. Figé dans sa garde, le guerrier pivotait lentement, guettant les alentours; faisant abstraction des cadavres mutilés qui gisaient tout autour de lui. Plus de grognements. Seulement le froissement des feuilles, et quelques touffes de poils qui dépassaient du corps des Worgens en fuite. Une longue expiration, et le Lordaeronnais se redressa, ruisselant de sueur et de sang encore chaud, constatant d’un oeil indifférent l’ampleur du carnage avant de retourner vers le domaine. Épargnée par le massacre, le domaine lui apparaissait comme une vision paradisiaque après sa course dans les bois. L’adrénaline retombait; et la douleur des multiples griffures qu’il avait subi sans même en avoir conscience le frappa de plein fouet quand il s’apprêta à franchir le seuil du domaine. Il ecrasa son poing contre la porte, trois fois, et le battant s’ouvrit sur les traits réconfortants de la prêtresse. Les yeux de la jeune femme étaient teintés d’inquiétude, et, comme elle l’avait fait tant de fois auparavant, elle se glissa sous l’un de ses bras pour le guider jusqu’à une table consacrée aux soins qu’elle lui administrait régulièrement.
- J’ai besoin d’un bain, fit-il remarquer laconiquement.
| |
|