Halfjar Skaldhammer
Messages : 159 Date d'inscription : 20/07/2018
| Sujet: L'encens et la caresse du vent Mer 29 Déc - 7:05 | |
| - Citation :
- Dun Thorod, un siècle auparavant.
La foule se presse dans la chaleur étouffante des grands brasiers cérémoniels, au son rythmique de marteaux qui rebondissent avec éclat sur leurs enclumes. Des cohortes de guerriers défilent dans leurs plus beaux oripeaux sous les cantiques lyriques des scaldes, emportant avec eux les étendards ornés du prestige de la gloire, et des récits de bataille. L'ambiance est digne : c'est un jour spécial, un jour de célébration placé pourtant sous les auspices funèbres du chagrin. C'est un jour de deuil.
Halfjar peine à s'y retrouver dans la foule. Il avance un pied devant l'autre, avec maladresse, en s'efforçant de ne pas lâcher la main de sa mère qui le guide et le fait rester auprès d'elle ; son visage étincelant d'un doux sourire et ses yeux sont les seuls repères qu'il parvient à conserver au milieu d'autres grandes silhouettes qui le surplombent. Il ne dit rien : les mots sont encore confus dans son jeune esprit, et les phrases s'entremêlent quand il veut s'exprimer, mais la gravité ambiante exerce sur lui et en lui une pesanteur dont il comprend à peine les enjeux.
Bientôt, ce ne sont plus les mots réconfortants de sa mère qu'il entend, ou ses doigts qu'il sent étreindre sa main ; il n'y a plus de place que pour les chants gutturaux mais mélodieux de ses congénères, et les gestes pieux dont il perçoit à peine la portée. Et une odeur si caractéristique qu'elle le hante encore, et l'obsède. Au sortir de la foule, tandis que sa mère et lui atteignent enfin la place qui leur était dûe, il voit le cortège dans son ensemble, guidé par le grand sage, Nostrebarbe. Le vieux prêtre marche lentement, et balance pieusement un grand encensoir qu'il tient par un chaînon émaillé d'or et d'argent ; il embaume l'air de cette senteur si particulière, de cette odeur qui emplit les narines, et plonge les esprits dans la stupeur propice aux moments religieux.
Halfjar ne comprend pas bien, mais il sait dans son âme et son cœur, ce dont il est question. Ce n'est qu'alors que les chants se poursuivent et que leur tonalité s'envole en lamentations que la procession fait pénétrer dans le grand hall la forme d'un grand cercueil soutenu par six guerriers, vers l'autel. Dans la chaleur étouffante et l'encens sacré, les yeux d'Halfjar s'embrument de larmes qu'il peine encore à contrôler. Il sent la main de sa mère réconforter la sienne, et la main de son oncle se poser sur son épaule encore frêle. Il entend cette phrase, qui jamais plus n'irait le quitter :
« Sois fier de ton grand-père, car il retourne auprès de ses ancêtres. »
Ses pensées sont obscures ; il n'a que le temps de s'apercevoir que le cortège arrive à l'autel, devant lequel son père, qui s'avançait en silence dans le sillage du sien, vient gravir les marches pour rejoindre Nostrebarbe.
« Wulfjar, notre thane, est mort. Gloire au thane Yolfjar !
Gloire ! Gloire ! Gloire ! »
...
Vallée des grands pins, quelques décennies plus tard.
Halfjar arpente les pistes déboisées et rougies par le sang d'un champ de bataille. Il vient en aide à ses camarades blessés, encourage les malheureux, et réconforte les mourants. Plus loin, Brÿnjar nettoie le fer de sa hache, et Griselda récupère, inlassable, quelques-unes de ses flèches sur les dépouilles de trolls. Les épines des grands pins de la vallée frémissent sous un vent d'amère victoire. Elle a été remportée au prix de quelques vies ; des camarades proches, des frères et des sœurs, des amis.
Au milieu du calme étrange qui a succédé au tumulte du combat, Yolfjar s'avance, escorté de sa garde, pour remettre son plus précieux présent à Halfjar, comme récompense de son infaillible courage.
Au milieu de visages réjouis célébrant déjà l'instant, le vieux thane remet à son fils un simple marteau.
Au milieu des siens, Halfjar le brandit au-dessus de son visage, sous les acclamations de ses pairs.
« À toi mon fils, je te remets le marteau du Poète, qui fut transmis à nos lointains pères par Thorod, sous l'ardent regard de Khaz'Goroth. Que brandi par ta main il continue d'être le symbole de notre unité, de notre force, et de nos traditions. Marche dans l'honnêteté, et garde-toi de la tromperie. Marche dans la piété, et garde-toi du sacrilège. Marche dans l'honneur, et garde-toi de l'infamie. Nous sommes les enfants du Grand Forgeron, mais il appartient à chacun d'entre nous d'être les artisans de notre propre destinée. Que ce marteau soit ton instrument pour forger la tienne, Halfjar. »
Halfjar ploie le genou, et embrasse son destin.
...
Refuge des Embruns, ces derniers jours.
« Que fait-on, maintenant ? »
La question revenait sans cesse depuis que clan dans son ensemble était réuni. Les nains tenaient conseil au sein de la plus grande tente du camp, où l'on avait installé une table assez large pour accueillir les chefs des différents groupes. Tous se tenaient là : Nostrebarbe et ses quelques acolytes, Griselda et ses plus fidèles amis, Brÿnjar et ses guerriers, Eimelinde et ses servantes, Megun et ses Souris, Logar et ses officiers, Deirdrun et ses suivants, Ordo et sa famille. Il ne manquait que Thaelun et les Boarhammer, qu'un concours de circonstances qu'on avait encore du mal à saisir fit qu'ils trouvèrent tous la mort. Tous les présents se réunissaient dorénavant autour d'Halfjar.
Les nains avaient renforcé le dispositif autour de leurs habitats. Cent à cent-cinquante individus y fourmillaient, et se tenaient prêts à partir dès que l'ordre en serait donné. La voie avait été tracée à l'avance, par Griselda et sa connaissance des sentiers écartés, pour qu'on regagne rapidement Dun Morogh et la vallée des Grands Pins.
Ce soir-là, aucun habitant du refuge ne fut accepté au sein du camp, et tous les prétextes furent bons pour les en tenir à bonne distance.
La teneur du débat qui prit place dans la grande tente ne put être réservée qu'à ceux qui parlaient le langage des titans ; il fut pourtant animé, et sujet à bien des emportements ou d'autres explications.
La nuit fut elle aussi bien longue, lorsqu'enfin Halfjar sortit de la tente et marcha dans le camp, flanqué de ses compagnons les plus essentiels. À sa lisière, il s'arrêta afin de pouvoir contempler, à travers bois, l'abbaye telle qu'elle leur apparaissait depuis leur emplacement. Il s'écoula un long silence avant qu'il ne se décide à conclure, dans un soupir amer :
« Nous ne sommes plus les bienvenus, ici. »
Un vent fort, hivernal, vint faire s'animer les arbres qui peuplaient la vallée du refuge en abondance. Son souffle était tel qu'il poussait ceux qui le subissaient à rentrer leur visage dans leurs épaules, mais les nains ne le subissaient pas, et écoutaient les caprices du temps s'agiter dans le ciel, se répercuter dans les arbres, et caresser les flancs des monts environnants.
Dans les massifs occidentaux de Dun Morogh, les voyageurs qui s'égaraient dans les montagnes et le blizzard foudroyant trouvaient leur salut dans les échos célestes que portaient les puissants vents. Ces échos emmenaient avec eux l'éclat semblable au tonnerre des cantiques incantés par les scaldes et les kvinnlids du clan Skaldhammer, juchés sur les plus hautes hauteurs de leurs promontoires, et le toit du monde. Ainsi, tout comme Thorod avait jadis guidé les siens hors de la tourmente, ils continuaient à défier la tempête, et lui faire épargner celles et ceux qu'elle voulait prendre, comme autant de phares dans les ténèbres.
Ces voix résonneraient bientôt de nouveau à travers les montagnes.
Lorsque les premiers rayons tardifs du soleil vinrent enfin illuminer la vallée des Embruns, le camp avait depuis longtemps fini d'être levé. Il n'en restait rien, sinon les traces de ce qu'il avait été.
Les nains étaient partis, menés par leur nouveau thane. | |
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