Un tapis de bombes

Quoique désespérée, la situation exigeait de la fortitude, de l’honneur et beaucoup de foi. On nous envoyait ravager les lignes yaungoles d’une façon à laquelle ces créatures bestiales ne pouvaient être préparées. Nous prîmes chacun l’un de ces grands cerf-volant pandaren, de remarquables constructions, légères et élégantes qu’on pilote sans trop de fâcherie.

On glissa sans encombre derrière les fortifications yaungoles pendant que les Pandashans menaient, comme il était convenu, une coûteuse diversion offensive. On tomba néanmoins contre une force considérable : de nombreux guerriers, archers et chamanes. Décision fut prise d’anéantir une partie du stock d’explosifs - des sortes de jarre pleine de poix - des hommes-bêtes pour décimer le plus gros de leurs effectifs d’un seul coup. Notre chère magicienne rousse fut d’un grand secours à cet effet.

Il nous fallut quand même abattre une vingtaine de guerriers : nous avions l’avantage, en hauteur sur des escaliers mais pour être tout à fait franche, cela aurait pu très mal tourner. La Lumière, toutefois, veillait. On s’apprêtait à progresser quand deux champions et deux parleflammes vinrent à notre rencontre. Les favoris d’Ordos, ses meilleurs éléments. Le combat fut cruel. Mais nous les abattîmes sans perdre aucun des nôtres.

Hélas, en dépit de nos considérables efforts, la situation tourna totalement en notre défaveur. Une cohorte entière nous séparait des restes d’explosifs. Et ces maudits sauvages conjuraient dans le ciel un grand objet céleste, terrifiant et nimbé de flammes, comme si l’on avait fait chuter une étoile sur notre monde. Alors le maître de la guilde, éclairé par quelque instinct, se saisit de l’artefact qu’on nommait la Fierté du Père. J’ignore comment, mais il parvint à donner à notre prêtresse Quel’dorei, Alcinoë, un bâton yaungol aux pouvoirs terrifiants. Une relique saisissante. De ces objets qui, par le passé, ont transformé l’histoire, fait des légendes, érigé des empires, abattu des tyrans. Et c’est là que le miracle se produisit, juste après que notre prêtresse ait adressé sa plus vibrante oraison. La Sainte Lumière vint à notre secours. Le ciel devint comme de l’or. L’Empyrée toucha Azeroth. Elle frappa. Un immense projectile s’en alla anéantir les Yaungols. Leur rituel se dissipa. Les flammes d’Ordos s’évanouirent. Nous étions sauvés.

Le bombardement à bord de cerf-volant allait pouvoir débuter.

On décolla à nouveau sur nos cerfs-volants, direction l’île où bataillaient désespérément nos alliés Pandashans contre des hordes sans fin d’adversaires. Il était grand temps que nous arrivions ! Et si j’étais certes dubitative quant aux chances de succès de notre « opération aérienne », Lumière miséricordieuse, cela n’aurait pas pu mieux se passer. Tout du moins pour la plus grande part !

Les Yaungols ne s’attendaient point à cela. On fit pleuvoir conformément au plan les jarres préalablement enflammées par Sal’zar. La mort tombait du ciel, implacable. Nos ennemis mouraient par dizaines, par centaines. Ils étaient impuissants. Leurs chamanes essayèrent de nous abattre. Mais nous étions trop rapides. Trop agiles ! Peine perdue pour ces messieurs cornus ! Je le confesse encore : ce fut terrible. Une hécatombe. Ôter tant de vies en si peu de temps est une chose fâcheuse. C’est grande pitié que ces Yaungols ne nous aient point laissé le choix. Que cela soit un témoignage pour les générations futures : bénie soit la paix.

Cette mission aurait pu être parfaite. Mais le Père des Carnages ne l’entendait pas ainsi. Alors que la victoire semblait imminente, inéluctable, une ombre surgit dans le ciel. Oui, encore une. Point une étoile cette fois. Un dragon ! Un dragon corrompu, aux écailles noires et changeantes. Un être déformé qui semblait avoir quelque empire sur notre réalité.

Le combat fut particulièrement délicat à bord de nos cerfs-volants. Ce puissant adversaire pouvait plier le temps à sa volonté. Il bougeait de façon irréel. Infligeait des blessures dont les mots ne peuvent rendre compte. Je faillis bien périr ce jour. Mes camarades furent, eux aussi, diversement blessés, particulièrement Monsieur Varenne. Mais nous taillons notre propre destinée. Et Marchebruine a vaincu sans perdre un seul de ses petits. Quels aventuriers nous sommes ! Nous n’avions hélas point le temps de prendre le repos que nos corps méritaient. En avant, en avant, en avant, toujours plus loin : il fallait saisir l’avantage, profiter de notre percée et mettre un terme aux méfaits de Lokaï.