Sujet: De l'équipement pour Marchebruine Dim 26 Juin - 18:48
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- Hé bien, qu'est-ce que tu attends ? Les mots de sa voisine tirent Allie Oldfield de ses pensées. Elle qui était jusque là occupée à rêver de sa patrie, du village qu'elle a depuis des mois quitté en embrassant une nouvelle vie. Un nouveau sens à son existence, plus seulement vécue au travers du prisme de la survie. Pourtant, un pincement subsistait. Elle avait malgré elle laissé quelque chose là-bas. Un détail suffisamment important pour que ses pensées, parfois, s'en aillent jusqu'à lui. Elle releva le regard vers le cercle rassemblé autour du feu, pour l'opportunité d'une partie de cartes. Il y avait là les visages de nouvelles connaissances, d'anciennes relations. Jern, à sa droite, dissimulait de manière peu habile un as qui ne devrait être là. Thoreau, le colosse ayant pris la direction de la mine, le surveillait avec l'attention d'un rapace. Chard et Herman étaient occupés par l'une de leurs nombreuses disputes, de celles qui dissimulaient une amitié naissante. Et, à sa gauche, Néra Brent attendait la réaction de son amie. - Tes cartes sont mauvaises à ce point, hein ? Un rictus moqueur aux lèvres, l'ancienne larron du syndicat tâcha de regarder par dessus la main, et voir la nature des cartes qui lui étaient dissimulées, avant d'être repoussée par la paume d'Allie. Un léger rire monta de la gorge de la femme, à moitié sincère. Une réaction par défaut, lorsque le cœur n'y est plus. - À quoi penses-tu ? Elle leva sa tasse de bière, qui ne traînait pas loin. La partie de carte s'était de toutes façons trouvée dans une impasse, puisque Jern, pincé par Thoreau, se faisait secouer comme il se devait pour avoir tenté de tricher - alors même qu'il n'y avait aucun enjeu monétaire -. - Je pensais à Alterac. Son amie s'entrucha légèrement, avant de se fendre d'un rire un rien gras. - Arrête d'y penser, Allie. Il n'y a plus rien pour nous, là-bas. Oldfield la savait sincère, et la savait dans le vrai. Leur village était une ruine depuis bien des années, et ils n'y étaient restés que parce que la misère les empêchait de pouvoir entreprendre un voyage de plusieurs semaines à travers des terres de la Horde, eux qui n'avaient rien. Piller des ruines, récupérer ce qui peut l'être, c'était leur seule éventualité. Leur seul moyen de survivre. Elle en avait oublié son père, les déboires de sa famille pour cette seule et ancienne allégeance. Elle en avait oublié tant de choses, jusqu'à échouer à remarquer la possession progressive qui avait pris les membres de son unité, pour finir par être prise par le même sort. Mais elle avait surtout oublié le poids de ses propres actions. La renégate soupira, et délaissa sa main de cartes sur l'herbe foisonnante de l'été. Sa paume gantée glissa sur son front, obstruant assez sa vision pour dissimuler le regard inquiet de sa voisine. Il faudra quelques minutes pour qu'Allie reprenne enfin la conversation. Ses lèvres sèches d'avoir ignoré la bière à ses côtés. Conservant son front dans sa paume, d'une voix assurée malgré la faiblesse annoncée par ses mots, elle s'ouvrait enfin. - "Aucun remord", hein. C'est ce que je leur avais dit une fois arrivés ici. Mais c'est faux. Maintenant que j'ai eu le temps d'y penser, de m'en souvenir... Ça m'empêche de dormir. C'est une chose de se battre égoïstement pour survivre, mais, et après ? Je me sens coupable d'avoir droit à un tel confort. Bas, pour ne pas attirer l'attention de leurs camarades alentours, Oldfield va chercher sa bière délaissée. S'humectant les lèvres, elle fait mine de boire, sans joie ni sincérité. Brent cherche le contact de sa voisine, lui prend l'épaule. - Laisse du temps au temps. J'éprouvais mon lot de regrets, à notre arrivée. Mais j'ai saisi quelque chose, depuis. Nous ne sommes pas les seuls, ici, à avoir commis des erreurs, et ça peu importe l'échelle. Mais difficile de ne pas être amère. La voix d'Allie en est le reflet direct. - Je doute qu'il y ait beaucoup de meurtriers, ici. Regardez-les. D'un mouvement de la paume, elle désigne Chard, l'ancien veilleur. Dhole, l'ancien soldat. Thoreau, l'ancien esclave. Une seconde, son regard s'arrête sur Jern, toujours asticoté par le dit colosse. Elle savait peu de choses de Ghalier. Ils n'étaient pas proches, à Alterac. Elle était membre de l'élite de leur groupe, lui était tout en bas. Mais, s'ils s'étaient rapprochés depuis leur arrivée à Marchebruine, ils avaient mis un point d'honneur à ne pas parler de leur passé. - Tu n'en sais rien. Je doute que l'on signe pour vivre aux côtés d'une guilde pareille sans raison, Allie. Elle prend une gorgée de sa chope, regardant les même gens que sa voisine. Nous ne deviendrons jamais riches, ici. Nous ne serons jamais célèbres. Et pourtant, nous l'acceptons tous. Sur le côté, Thoreau laissa enfin partir Jern, jouge pivoine et honteux d'avoir été pincé comme un débutant. Chard, qui était le propriétaire du jeu, en récupère les cartes, et s'éloigna compagnie de Herman. Arguant que, puisqu'il était aussi arrogant, il allait l'étaler en quelques prises sur le terrain d'entraînement. Thoreau, lui, se contenta de partir pour sa cabane, après avoir offert un sourire cordial aux trois alterans. Si vite, il ne restait qu'eux.
Jern arrangea sa coiffure distraitement, reprenant sa contenance bonhomme - après tout, il n'avait pas été si secoué. Tournant le crâne vers les deux femmes, il se fendit d'un commentaire. - Il n'est pas si fort, parce que j'avais un autre as dans la poche arrière. Bon, de quoi vous parliez ? Il s'installa à leurs côtés. Donna un coup de coude à Allie, pour lui arracher un grognement de circonstances. À la place de l'hésitante, c'est Néra qui lui répondit. - De la guilde. De notre ressenti. Ghalier s'étira dans un grognement de circonstances. Distraitement, il alluma la cigarette qui se trouvait depuis un moment déjà entre ses lèvres. - Ha ! Honnêtement, je pensais pas qu'il ferait aussi bon vivre, ici. En comparaison d'Alterac, nos cabanes sont des palaces, et le travail est tellement moins pénible. - Compare ce qui est comparable, Ghalier... - Non, mais. Ce que je veux dire. À Alterac, j'avais un sale goût dans la bouche à chaque fois que je faisais un truc. Porter le masque orange, même si c'était nécessaire... Ça restait infâme. Ici, je bosse toujours dur, mais l'objectif est tellement opposé. Ses deux camarades ne relancèrent pas. Par manque de mots à répondre, ou pour lui laisser l'opportunité d'étayer : ce qu'il fit. - Pourtant, ça devrait me déranger. Il n'y a pas de vraie opportunité, ici. Pas de carrière à mener, ou de gloire à gagner. Mais en même temps, j'ai la vraie sensation que notre participation ici participe à quelque chose de plus grand, à quelque chose qui nous dépasse. Il se pencha pour aller chiper la chope d'Allie, qu'il prélèva d'une bonne partie de son contenu - un mouvement qui n'attirera qu'un regard brièvement courroucé. -Je ne sais pas exactement ce qu'ils font, en général, mais c'est important. Et ce départ, là, d'il y a trois semaines... Il avait quelque chose de plus. Cette fois, il ne relança pas. Le silence s'installe, rompu uniquement par les grillons. Le souvenir du départ de Marchebruine était gravé dans leur mémoire, pour la si particulière banalité qui l'avait amené. Aucune réunion, aucun au revoir. Pourtant, les volontaires et les protecteurs qui passaient là avec bien pressenti l'urgence et la hâte dans les mots, les actions et les mouvements des aventuriers.
C'était, plus que jamais, une heure fatidique.
- J'ai mon lot de regrets, moi aussi. Ses lèvres se pincent, finalement peu dupe de la réalité de la conversation. Mais ici, nous avons une opportunité de rédemption. De faire partie de quelque chose de réel. Je sais que c'est risqué - bon sang, je pense que tout le monde ici le sait. Mais... Ça vaut la peine d'être vécu, ce quotidien vaut la peine d'être mené. Pour faire notre part, nous aussi. À ce petit discours, il n'y a que le silence de deux femmes qui ne savaient quoi ajouter. La couleur écarlate fit un retour sur les traits du jeune altéran. Néra lui donna un coup de poing sur l'épaule. - Inspiré, garçon, hein ? Elle se tourne vers Allie.[/i] Tu n'auras pas ta réponse tout de suite. Je n'ai pas encore vraiment tourné la page. Mais tu n'es pas seule, au moins. Son interlocutrice secoua lentement la tête. Elle n'était pas convaincue - pas encore. Mais à ses lèvres venait danser un léger sourire. Elle ouvrait la bouche, désireuse de leur répondre, de les remercier. Mais avant qu'elle ne puisse prononcer le moindre son, la cloche de l'entrée du Refuge sonna. - Venez ! Allons voir. Ghalier les emporta avec lui, mu par sa curiosité. Elles se laissèrent faire. Réaliser qu'ils étaient des rouages d'un grand tout n'était pas facile. Mais derrière la herse attendait un nouveau soupçon de vérité. Un retour du passé, et une promesse d'amélioration à venir.
Au Refuge des Embruns venaient d'arriver l'artisane du cuir, et son apprenti. Un apprenti qui était un ami cher de Ghalier, et dont les retrouvailles chaleureuses feront éclore dans le cœur de celle qui doutait encore les germes d'une précieuse réalisation. En désirant sa rédemption, celle-ci finirait par se réaliser. Et elle n'avait, jusqu'alors, qu'à contribuer autant qu'elle le puisse. Pour, l'espérait-elle, elle aussi finir par retrouver cette candeur d'émotion qui animaient deux amis qui se retrouvent.